En ce printemps de 1672, les habitants de Pont-Melvez entendaient cette annonce solennelle: «Les vassaux de la commanderie sont avertis de se trouver mardi prochain…à Maël-Carhaix, pour y charger chacun leur charretée d’ardoises… pour… la réparation… du manoir». 

Deux paysans ne se présentèrent pas à l’appel, et durent payer une lourde amende, pour avoir refusé de faire ce long trajet avec leur petite charrette. 

Ces corvées étaient  attachées au régime féodal de la commanderie des Hospitaliers, héritage lointain des Templiers qui se seraient installés à Pont-Melvez au 12e siècle, et parfois surnommés les «moines rouges» en raison de la croix écarlate ornant leur tunique, selon certains historiens.

Fondé vers 1120 par Hugues de Payns pour assurer la protection des pèlerins qui se rendaient en Orient, l’ordre des Templiers tirait son nom de la demeure que leur avait accordée Baudouin II, roi de Jérusalem, à l’emplacement de l’ancien temple de Salomon. 

Pour s’assurer tous les soutiens nécessaires au développement de son ordre de moines chevaliers, le premier maître effectua une grande tournée en Occident entre 1127 et 1129. 

Soutenus par le duc de Bretagne

Au cours de ce périple, Hugues de Payns séjourna dans l’Ouest de la France, où plusieurs barons lui firent don de terres. C’est ainsi que vers l’an 1128 Conan III, duc de Bretagne, dont le père Alain Fergent avait participé à la première croisade, offrit aux Templiers l’île de la Hanne, sur la Loire, ainsi qu’une métairie près de Rennes. Le duc et ses successeurs accordèrent tout leur soutien à ces chevaliers, et furent relayés par de nombreux Bretons de toutes conditions, ce qui favorisa l’implantation de l’ordre en Bretagne.

Afin de pouvoir mobiliser les fonds nécessaires au soutien des royaumes francs d’Orient, les Templiers développèrent leurs domaines par l’élevage, la culture de céréales ou l’exploitation de moulins, et créèrent des «fronts de défrichement» comme à Pont-Melvez entre Callac et Guingamp, où la présence d’une commanderie semble attestée depuis la fin du 12e siècle. 

Pour attirer des colons, ils mirent à profit un système agraire original, utilisé également par les moines des Monts d’Arrée: la quévaise. 

Ainsi, un lopin de terre était attribué aux paysans, en échange d’une rente annuelle, et avec la garantie de ne pas être renvoyé. Installés dans  des habitats  regroupés au sein de grands villages, les tenanciers bénéficiaient également de terres communautaires pour leurs troupeaux.

Condamnés au bûcher

La chute du royaume de Jérusalem en 1187, suivie plus tard de la prise de Saint Jean d’Acre, n’entama pas la prospérité des chevaliers templiers en Occident, ce qui ne manqua pas de susciter la convoitise et la haine du roi  de France Philippe Le Bel.

Le 13 octobre 1307, il fit arrêter tous les Templiers de France, qui furent jugés lors d’un procès controversé. Leur grand maître, Jacques de Molay et plusieurs de ses compagnons périrent sur le bûcher. L’organisation fut dissoute et ses biens dévolus aux  Hospitaliers, un ordre militaire né à l’époque des croisades, dont les membres ont  parfois aussi été associés aux «moines rouges» en raison de la couleur de certains de leurs vêtements.

Pont-Melvez devint alors une commanderie des Hospitaliers, et fut réunie, plus tard, au 16e siècle, à la commanderie de La Feuillée, fondée également au Moyen-Age. 

Les Pont-Melvéziens continuèrent à vivre sous le régime de la quévaise, qui, sous certains aspects, présentait quelques similitudes avec le servage. Il était ainsi impossible au paysan de quitter sa terre sans l’autorisation du commandeur. En cas de décès, seul le plus jeune fils, appelé juveigneur pouvait hériter de ses parents, et s’il n’y avait pas d’enfants, la tenure revenait à la commanderie, au détriment du reste de la famille. 

Enfin, une coutume plus originale imposait, à chaque printemps, aux hommes mariés dans l’année, de sauter trois fois dans le Léguer, rivière qui traverse la commune, sous le contrôle du fermier général  de la commanderie. C’est ainsi qu’en 1737, trois jeunes mariés, qui manquèrent à l’appel, furent condamnés à payer une amende.

Un souvenir encore vivace

La quévaise, qui assurait une certaine sécurité à l’époque médiévale, finit par être vécue comme un joug assez pesant par les habitants de Pont-Melvez, qui, à la veille de la Révolution, s’en plaignirent dans leurs cahiers de doléances: «Nous gémissons depuis plusieurs années, sans jamais avoir pu nous affranchir…». La quévaise fut alors abolie par les autorités révolutionnaires.

La mémoire des chevaliers templiers et des «moines rouges» a traversé les siècles en Bretagne. Ils ont inspiré bien des récits, où se mêlent souvent histoire et légende.

A Pont-Melvez, où il reste peu de vestiges de cette époque, le nom d’un hameau, la Commanderie, évoque à jamais leur souvenir.