Une violente déflagration déchire soudain le silence de son bureau. Le sol et les murs tremblent, le bâtiment vacille. Michael Hingson, 51 ans, directeur commercial d’une société informatique, est loin de se douter de la cause du sinistre. Il réalise seulement que sa vie est en grand danger et qu’il faut rapidement évacuer les lieux. Mais Michael est aveugle et son bureau se trouve au 78e étage de la tour Nord du World Trade Center, à New York.

En effet, Michael est aveugle depuis sa naissance, victime d’un médicament conçu pour aider des nouveaux-nés prématurés à respirer mais qui a été cause de cécité pour plus de 10000 bébés prématurés aux États-Unis, entre 1941 et 1953. Les parents de Michael ont tout fait pour que leur fils puisse mener une existence aussi autonome que possible. Il a pu faire des études, obtenir une bonne situation, se marier et fonder une famille.

Mais c’est surtout grâce à des compagnons fidèles à quatre pattes que cet homme a pu se passer d’une assistance constante à ses côtés. Il a eu son premier chien guide d’aveugle à l’âge de 14 ans, et depuis quelque temps, c’est Roselle, une magnifique labrador fauve, son cinquième compagnon, qui le suit du matin au soir dans tous ses déplacements.   

«Mes collègues se disaient adieu en pleurant…»

Le mardi 11 septembre 2001, Roselle est comme d’habitude installée aux pieds de son maître lorsque, soudain, à 8 heures 46, la terrible explosion fait trembler la tour. Immédiatement, Michael pense à un séisme ! Quoi d’autre pourrait ébranler ce bâtiment solide, devenu un des symboles et fiertés de la ville ? Comment aurait-il pu imaginer, un seul instant, qu’un Boeing 767, aux mains de quelques terroristes, venait de s’encastrer, volontairement, dans la tour entre les 93e et les 99e étages ?

«Ceux qui étaient à l’intérieur, raconte Michael, ont immédiatement pensé qu’ils allaient mourir. Mes collègues se disaient adieu en pleurant. J’étais persuadé que mon heure était arrivée.»  

Alors qu’autour de lui ses collègues décrivent une scène surréaliste avec des débris enflammés qui tombent en cascade devant les fenêtres, Michael reste dans son monde de ténèbres, sentant seulement les vibrations du sol, la fumée qui envahit le bâtiment, rendant la respiration difficile. Il pense aux consignes données en cas d’incendies, d’explosions ou autres dangers: descendre par les escaliers, ne pas utiliser les ascenseurs ! 

Il sait qu’il ne pourra pas trouver son chemin au milieu des débris tombés, les obstacles qui surgissent. Mais Michael reste étonnamment calme. Il sait qu’il peut compter sur un compagnon fidèle : Roselle, couchée à ses pieds. Et dans cette situation dramatique, sa chienne va se révéler un excellent guide, non seulement pour son maître non voyant, mais aussi pour tous ceux qui l’entourent, apaisant l’angoisse de plusieurs et leur donnant le courage d’entamer la difficile descente jusqu’à l’entrée de la tour. 

Sur le chemin, des personnes brûlées, blessées…

Ne réussissant pas à joindre son épouse au téléphone, Michael lui laisse un message, puis attrape le harnais de Roselle en lui lançant l’ordre habituel du départ : «En avant!» 

Dans le chaos qui règne, les cris qui jaillissent, les bousculades…, la chienne commence à se frayer un chemin vers l’escalier et s’y engage. Sans se laisser impressionner, elle commence la descente, de palier en palier.

«Roselle et moi étions une équipe, et je lui fis confiance… Il n’y avait pas encore de véritable panique, explique Michael. Mais cela pouvait changer si la cage d’escalier se retrouvait soudain plongée dans l’obscurité. Pour moi, cela ne changeait rien. J’ai donc dit à tout le monde de ne pas s’inquiéter, qu’en cas de problème, Roselle et moi, pourrions servir de guides. Des gens ont ri, et l’ambiance s’est détendue… Roselle était calme, même lorsque des débris tombaient sur elle, et c’est elle qui m’a guidé…»

Mais Michael sait aussi que le calme de Roselle dépend de son attitude à lui, et que, s’il cède à la panique, elle pourrait également perdre son calme.

Il y a 1463 marches à descendre, et sur le chemin, des personnes brûlées, blessées… Une femme, tétanisée par la peur, qui refuse d’avancer, reprend courage lorsqu’elle peut caresser, un instant, le pelage de Roselle.

Une deuxième tour en flammes

Plus ils progressent, plus la température augmente. Personne ne sait combien de minutes il leur reste avant que tout le bâtiment s’effondre, ils savent seulement qu’il y a deux pièges à éviter : la panique et l’inaction.

Au 70e étage, une forte odeur très désagréable et menaçante envahit les narines. Michael reconnaît tout de suite l’odeur de kérosène. Les 35 000 litres de kérosène que contenaient les réservoirs du Boeing se répandent partout, rendant le sol glissant et menaçant à chaque instant de s’enflammer et de couper ainsi la route vers la liberté. 

Lorsqu’au bout d’une heure, enfin, Michael et Roselle se trouvent à l’air libre et qu’ils pensent être sauvés, ils sont aussitôt face à un autre danger mortel. La tour Sud, toute proche, est en flammes. Elle vient d’être percutée, elle aussi, par un avion piraté. Soudain, dans un fracas incroyable, elle s’effondre. Un immense nuage de sable et de gravier rend l’air difficilement respirable. Tout le monde court pour sauver sa vie.

Roselle aussi a du mal à respirer, elle halète, mais elle ne s’arrête pas et entraîne son maître loin de la zone sinistrée. Ils trouvent finalement refuge dans une station de métro, et plus tard, il pourra rentrer rassurer les siens.

Michael sait ce qu’il doit à Roselle. Grâce à cette chienne d’une grande fidélité, il ne se trouve pas parmi les 2977 personnes qui ont perdu la vie dans l’effondrement des tours. Il a écrit un livre : «Thunder Dog» («Chien de Tonnerre») où il rend un hommage vibrant à celle qui sauva sa vie et la vie de plusieurs de ce groupe qu’elle encouragea par son calme et son exemple.

En 2002, Roselle a reçu la plus haute médaille pour bravoure qu’un animal puisse recevoir, et en 2011, 10 ans après le drame, à titre posthume, elle a été élue «chien héroïque d’Amérique».  

Depuis ce drame qu’il n’a jamais pu oublier, Michael a voulu consacrer sa vie à faire connaître, à travers le monde, le rôle si important que jouent ces amis à quatre pattes dans la vie de beaucoup de personnes qui souffrent de divers handicaps, ces chiens remarquables dont Roselle n’est qu’un exemple parmi une multitude d’autres.