«En tant que cadre de la fonction publique, nous sommes contraints à un certain devoir de réserve qui, selon la hiérarchie et les règlements, peut parfois être un peu contraignant. Or, j’aime ma liberté d’expression…»

Des vitrines vides, des rideaux de commerces ou de services définitivement baissés faute de successeurs… en cela Carhaix ne fait hélas pas exception.

Pas étonnant, dans ce contexte quelque peu morose, que l’annonce de la reprise de l’unique cordonnerie de la ville (et à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde) soit accueillie avec de tels sourires et suscite d’autant plus l’intérêt qu’il s’agit d’un homme jeune, réfléchi, motivé et aussi natif du pays !

Guillaume Keller a en effet toujours vécu à Carhaix ou dans les communes limitrophes. Il se dit viscéralement attaché à son territoire et donc sensible à l’évolution de son pays centre breton. Il est partie prenante, professionnellement, de sa vie économique depuis 2019 via l’hôpital d’abord, et maintenant par la cordonnerie multiservice.

Sa formation de base l’amène également à y être attentif ; et, pour l’anecdote, il a fait son stage de Master 1 en 2013, sur l’attractivité commerciale du centre-ville de Carhaix ! Il constate d’ailleurs que la situation s’est un peu améliorée depuis, même si elle reste fragile…

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Voulez-vous vous présenter brièvement ?

«J’ai 32 ans, j’habite à Treffrin mais ai grandi à Carhaix. Je suis marié et père de trois jeunes enfants.

Après avoir exercé dans la fonction publique pendant un peu plus de 8 ans, j’ai repris depuis quelques jours la cordonnerie multiservice de Carhaix.

Je suis chrétien, protestant, engagé dans diverses activités au Centre Missionnaire de Carhaix, et à ce titre je rendrai dans les prochains mois ma thèse en vue du pastorat.

Je suis également très engagé dans cette fabuleuse aventure qu’est le scoutisme.

Quand il me reste du temps, j’aime travailler l’acier, le cuir, le bois, et pratiquer diverses activités dans la nature.»

Quel a été votre parcours universitaire puis professionnel jusqu’à aujourd’hui?

«J’ai obtenu une licence d’économie-gestion en 2012, et un master d’économie appliquée au développement territorial en 2014, tous deux à l’UBO.

J’ai ensuite eu l’opportunité de commencer par une mission de 10 mois à la sous-préfecture de Morlaix sur les thématiques de l’emploi.

A la fin de cette mission, c’est dans la fonction publique hospitalière que j’ai pu poursuivre mon activité professionnelle, à l’hôpital de Guingamp d’abord, puis à l’hôpital de Saint-Brieuc, et enfin, pendant près de 4 ans, à l’hôpital de Carhaix.»

Tout jeune diplômé de l’université, votre première expérience professionnelle, particulièrement riche et formatrice, vous a donc permis de travailler aux côtés d’un sous-préfet de la région. Pouvez-vous nous en dire quelques mots?

«Oui, ce fut une expérience très enrichissante! J’y ai été recruté dans le cadre de la Plateforme d’Appui aux Mutations Economiques (PAME) du Pays de Morlaix.

Le territoire de la sous-préfecture de Morlaix venait de vivre deux «sinistres économiques» importants avec la fermeture (totale pour l’un, partielle pour l’autre) de deux des employeurs les plus importants du secteur: GAD et Tilly Sabco, des abattoirs de poulet.

La fermeture de l’abattoir GAD avait entraîné la suppression de plus de 800 emplois à Lampaul-Guimillau, et la fermeture (partielle à l’époque) de l’abattoir Tilly Sabco laissait quant à elle plus de 300 employés au chômage, il me semble. Mais il ne s’agit là que des emplois directs. Si l’on y ajoute les emplois indirects (fournisseurs, clients, etc.) et induits (commerces, services, que font vivre les employés…), on prend la mesure du «cataclysme» pour la région! Le retentissement médiatique était alors d’une ampleur nationale.

Mon rôle n’était pas de travailler directement sur ces cas pour lesquels beaucoup de moyens étaient déjà déployés notamment via la DIRECCT (devenue la DREETS: Direction Régionale de l’Economie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités) mais, plus largement, la mission était de travailler tous azimuts sur ce qui permettrait de créer et pérenniser de l’emploi dans l’arrondissement.

A ce titre j’assistais le sous-préfet de Morlaix sur un peu toutes les thématiques économiques, depuis l’assistance à des réunions avec lui, à l’élaboration de fiches sur des entreprises ou des thématiques précises en vue de la venue d’un ministre, ou à la demande de tel ministère, mener des enquêtes, aider à monter des projets, ou encore essayer de faire le lien entre tous les acteurs de l’économie locale (entreprises, administrations, collectivités, etc.). L’idée était d’être des «facilitateurs de projets».

Nous étions deux dans cette plateforme; Marie-France Rolland, la principale cheville ouvrière, et moi pour la seconder. Avec le sous-préfet, Philippe Beuzelin, nous formions un trio étonnant sur les questions économiques.

Marie-France, qui est maintenant à la retraite, était une personnalité bien connue dans la région pour son expertise, ses années de travail et de mise en place d’actions innovantes dans le domaine de l’insertion professionnelle et de la formation. Son carnet d’adresses bien rempli et son ancrage local nous ouvraient beaucoup de portes! Le sous-préfet bénéficiait du poids de sa fonction et des leviers qu’elle permet d’actionner (et de ses grandes qualités humaines et ses compétences en divers domaines). Et moi, le «petit jeune» qui devait apporter mes compétences en analyse économique et développement des territoires fraîchement acquises.

J’ai été merveilleusement bien accueilli par ces deux personnalités qui m’ont tout de suite «pris sous leur aile». Ils ont fait en sorte que cette mission soit la plus formatrice possible pour moi. Le sous-préfet m’a notamment fait participer à bien des rencontres dépassant le cadre strict de ma mission. Il s’est toujours rendu disponible et a fait preuve d’une grande bienveillance envers moi. Je leur en garde une grande reconnaissance!»

Vous êtes passé par les hôpitaux de Saint-Brieuc et Guingamp, quelles étaient vos missions dans chacun d’entre eux?

«A l’hôpital de Guingamp, j’avais été recruté comme responsable du service RH (Ressources Humaines). J’encadrais donc une équipe de cinq gestionnaires qui s’occupaient des dossiers du personnel non médical (comprendre ceux qui n’ont pas le statut de médecin mais un statut à part). Les thématiques à traiter étaient autant juridiques (disciplinaire, carrières, etc.) que de gestion (recrutement, paie, contrôle de gestion RH, etc.). Ce poste a été très formateur car j’y découvrais ce monde à part de la Fonction Publique Hospitalière (FPH), et ses réglementations spécifiques. J’ai eu beaucoup à apprendre car ce n’était pas ma formation de base (notamment la partie juridique).

J’ai ensuite évolué sur un poste à la DRH de l’Hôpital Yves LE FOLL à Saint-Brieuc. Comme c’est une structure bien plus grande, nous étions deux cadres pour seconder le Directeur des Ressources Humaines (Yannick Heulot qui avait d’ailleurs débuté sa carrière comme DRH de l’hôpital de Carhaix!). Cette fois, je n’avais plus en charge la partie juridique puisque cette partie de la gestion des RH dépendait de ma collègue, j’étais de mon côté Responsable Budgétaire et Salarial des RH non médicales (ce qui englobait également le secteur des recrutements). J’encadrais à ce titre 6 gestionnaires.

Quand le DRH a quitté l’établissement pour l’hôpital de Lorient, j’ai hésité entre le suivre et rester à Saint-Brieuc (nous nous entendions bien et il me donnait la possibilité de le rejoindre rapidement).

Mais à ce moment-là, un collègue m’a informé qu’ils recrutaient un cadre administratif pour le site de Carhaix du CHU de Brest. Comme je faisais la route tous les jours, j’ai choisi d’y postuler bien que ce soit une nouvelle discipline à apprendre (ce n’était pas en RH), et que je quittais un peu à regret le secteur de Ressources humaines… mais j’allais enfin pouvoir travailler pour «mon territoire», et le gain de qualité de vie en prenant un poste à 8 minutes de chez moi était pour moi bien plus important que la carrière.»

Quelle est votre vision de l’évolution de l’hôpital public au cours de ces dernières années ?

«Les médias se font régulièrement l’écho de la situation des hôpitaux en France (notamment depuis la COVID-19), et effectivement, elle n’est pas rose…

Je porte un regard assez critique sur l’évolution des dernières années, car si aujourd’hui les hôpitaux sont dans cette situation, c’est parce que, à mon sens, des choix politiques et des choix de civilisation ont été faits qui nous y conduisent…

Mais la question est assez vaste à balayer. Vous pourrez trouver dans la rubrique «Economie et Société» de ce numéro une petite analyse de cette évolution, de mon point de vue.»

Vous exerciez à l’hôpital de Carhaix dernièrement, en quoi consistaient vos missions? Vous avez encadré beaucoup d’agents pendant ces différentes missions, quelles expériences et quelles leçons sur la nature humaine vous laisse ce parcours ?

«A l’hôpital de Carhaix, je suis venu sur un poste «multitâche». J’encadrais le personnel administratif d’accueil du site de Carhaix (agents d’accueil, secrétaires médicales, agent de la facturation des soins, soit près de 40 agents), j’avais également des missions sur la facturation aux patients au niveau du CHU de Brest-Carhaix (notamment dans la gestion du logiciel), et j’étais référent du CHU sur la facturation des EHPAD.

Diriger un collectif est toujours quelque chose de délicat. L’humain est par nature tourné vers lui-même, et un travail en commun sous-entend de le faire se détourner de lui pour le faire se tourner vers l’intérêt commun, vers les objectifs à atteindre. Certains le font «naturellement», pour d’autres il faut un peu les pousser, et pour certains, c’est peine perdue! (Heureusement, je n’ai pas eu trop de cas comme ces derniers à gérer.)

J’ai aussi constaté qu’il y a autant de cas particuliers que de personnes encadrées. On ne peut pas globaliser, chacun est unique et a ses propres contraintes personnelles, physiques, psychiques, etc.

La gestion humaine c’est du cas par cas; une décision impacte souvent plus que l’instant présent au travail (notamment quand j’étais en RH). Ça demande du temps, c’est exigeant et parfois un peu ingrat.»

Qu’est-ce qu’un bon manager ou encadrant selon vous ?

«La question n’est pas simple. Il y a différents styles de management…

Je pense que la réponse peut quelque peu varier selon le personnel encadré (par exemple), selon l’environnement (professionnel, colonie de vacances, troupe scoute, équipe de sport…), et selon la personnalité du manager ou ses qualités (est-il un tribun quand il s’exprime ou timide et malhabile, a-t-il une supériorité technique sur les personnes encadrées ou non, de l’expérience ou non, une légitimité « naturelle » ou «conférée» par un supérieur…?).

Mais je pense qu’il y a des constantes. De mon côté, je me suis toujours attaché à être disponible et «à l’écoute» pour «mes» agents. J’ai toujours mis un point d’honneur à être juste dans mes décisions (pas de «copinage», ou au contraire de faiblesse avec les plus compliqués à gérer…).

Je pense que l’on ne peut pas non plus construire et travailler en commun sans confiance et donc sans loyauté. J’ai donc toujours veillé à être loyal envers mes supérieurs, mes homologues, et mes subordonnés. Ce n’est pas toujours facile, mais si parfois ça coûte sur le moment, on y est toujours gagnant à la fin.»

La COVID 19 a fortement impacté l’hôpital ces derniers temps, comment avez-vous vécu cette période? Quelles évolutions ont marqué ces années de pandémie, et quelles traces a laissées cette crise sanitaire dans le fonctionnement de l’hôpital ?

«Comme évoqué un peu plus haut, je pense que la crise COVID a plus été un révélateur de la crise existante dans les hôpitaux que vraiment un élément déclencheur.

En revanche, il est vrai qu’elle a perturbé, surtout au départ, les hôpitaux, comme elle l’a d’ailleurs fait pour le reste du système.

J’ai débuté à Carhaix fin 2019… très peu de temps avant la COVID donc.

Je me souviens de ces réunions de crise où il fallait essayer de trouver un équipement décent pour les soignants (il y avait pénurie de masques, de combinaisons jetables, etc.)

Pour l’anecdote, au départ on ne savait pas vraiment à quoi s’attendre, et les prévisions évoquaient des hécatombes. L’hôpital de Carhaix étant doté de peu de chambres mortuaires, il avait été envisagé, en cas de besoin, d’avoir un camion frigorifique à disposition… je pense que pour les hôpitaux, le début de la COVID a été marqué par «le système D» (pour Débrouille).

Sinon, à mon poste, comme encadrant du personnel d’accueil, j’ai constaté, à l’image du reste de la société, une très nette montée de l’agressivité et des exigences. Il faut tout, tout de suite, sinon tout prend des proportions incroyables… même envers le personnel des hôpitaux.

Mais de façon plus positive, elle a fait prendre conscience, et a mis en lumière le malaise des hôpitaux.

De l’argent a été injecté, les grilles salariales ont un peu été revues. Mais à ce jour, je ne trouve pas que la situation ait fondamentalement changé: le système de santé a un urgent besoin d’être revu… mais à la condition de ne pas faire pire!»

Quels souvenirs vous laissent ces près de 4 années à l’hôpital de Carhaix ? Que retenez-vous particulièrement de votre expérience au sein de la fonction publique hospitalière ?

«Pour moi, travailler à Carhaix a été quelque chose d’important car je suis très attaché à mon territoire. J’ai vécu ces années comme un service rendu à la population et au territoire, même si je n’étais pas beaucoup en contact direct avec les usagers. J’ai également pu essayer de faire un peu de lobbying pour l’hôpital de Carhaix au sein du CHU. Essayer de «mettre de l’huile dans les rouages» pour que l’hôpital fonctionne au mieux et pour que les agents dont j’avais la charge puissent exercer dans les meilleures conditions possibles. J’ai essayé d’être un peu un «couteau suisse» pour que l’hôpital fonctionne et pour que les buts soient atteints. Cela sous-entend de ne pas se cantonner à sa «fiche de poste», mais bien «faire ce qu’il faut», même quand ce n’est pas un «boulot de cadre».

Mais je pense que c’est souvent le cas à Carhaix et dans les petites structures.

Dans la fonction publique j’ai vu des gens qui «n’en faisaient pas lourd»… un peu la caricature décriant le fonctionnariat, mais qui étaient difficiles à atteindre… et d’autres qui travaillaient comme quatre, bien plus que beaucoup dans le privé!»

Comment analysez-vous le fonctionnement de l’hôpital de Carhaix ? Quels seraient selon vous les points principaux d’amélioration dans son fonctionnement ?

«J’estime que l’hôpital de Carhaix est un très bon outil. Et un outil in-dis-pen-sable au territoire.

Par rapport à d’autres hôpitaux, il est bien entretenu et ne souffre pas ou peu de vétusté. Il propose un panel de services assez large pour une petite structure; «on y fait de tout» dit-on souvent, excepté les services de pointe. Nous y avons une offre de consultations étendue, et indispensable pour le territoire bien qu’insuffisante au vu des besoins de la population et des manques de médecins spécialistes (et généralistes) en libéral aux alentours. Il possède également un plateau technique important qui devrait être d’ici peu agrémenté d’un IRM fixe!»

Un bel outil, mais avec des faiblesses…

Mais ce très bel outil a des faiblesses. La première, qui n’est pas nouvelle, est la médicalisation. Concrètement, la perennité d’un nombre suffisant de médecins «seniors» n’est pas assurée sur le site. Sachant que certaines disciplines sont particulièrement bloquantes et entraînent des effets en cascade.

Nous avons régulièrement le cas avec les anesthésistes. S’il en manque un, ce sont les consultations qui en pâtissent (mais cela sous-entend des décalages dans le planning des blocs opératoires puisque les patients ne peuvent être anesthésiés sans avoir eu une consultation avec le praticien au préalable). S’il en manque deux, ce sont les interventions elles-mêmes qui sont ajournées, et les accouchements qui ne peuvent être réalisés sur place, etc.

On voit actuellement comment le manque d’urgentistes paralyse également… Mais cela est vrai aussi pour d’autres disciplines comme la cardiologie…

Depuis deux ans, nous faisons en plus face à des pénuries d’infirmières, ce qui empêche d’ouvrir certains lits. A l’heure actuelle, ce sont des dizaines de lits qui sont fermés, faute de personnel…

On ne peut pas fonctionner qu’avec des intérimaires !

Un hôpital ne peut bien fonctionner s’il ne s’appuie que sur des intérimaires. Cela peut permettre de pallier un temps, mais on ne peut bâtir dessus car il y aura forcément des moments dans l’année où il y aura des trous dans les plannings (notamment lors des congés scolaires, où les demandes d’intérim sont démultipliées).

L’intérim représente aussi un poids considérable dans le budget d’un hôpital comme Carhaix, car cette forme d’embauche est très coûteuse. Au niveau national, les dépenses d’intérim ont une part importante dans le déficit des hôpitaux (même si elle est parfois exagérée, car il ne faut pas oublier que s’il n’y avait pas d’intérimaires, on paierait le médecin titulaire ou contractuel à la place).

La loi RIST a été faite pour limiter ce problème (elle encadre la rémunération des intérimaires), et en cela elle est positive de mon point de vue (même si elle pouvait avoir des «effets de bords» dangereux).

Enfin, l’intérim ne permet pas de monter des projets d’accueil d’internes. Or, les services hospitaliers s’appuient en général énormément sur les internes. Pas d’interne signifie donc un besoin plus important en personnel autre… mais aussi, et c’est très important, que les internes ne connaîtront pas cet hôpital…

Pour Carhaix il est donc primordial de pouvoir accueillir des internes afin de faire connaître l’hôpital à ces futurs médecins et pouvoir leur donner envie de rester.

Donc, pour moi, du moment qu’il a le personnel qualifié nécessaire, l’hôpital fonctionne bien, et s’il était aussi bien doté que Brest en « seniors » et en internes par service, je crois qu’il fonctionnerait même mieux !

Malheureusement, nous sommes dans une situation de pénurie au niveau local, régional, et même national. Et il ne suffit pas de «taper du poing sur la table» pour résoudre ce problème.

Quel bilan tirez-vous de la fusion de l’hôpital de Carhaix avec le CHU de Brest ? Quels ont été les apports pour Carhaix ?

«La fusion du CHU de Brest et de l’hôpital de Carhaix est intervenue il y a 14 ans et j’étais encore en études à cette époque. Je ne peux donc pas dresser de comparatif avant et après.

Cependant, il est très probable que l’hôpital de Carhaix n’aurait pas pu survivre sans la fusion avec Brest. Quand on voit aujourd’hui les difficultés à médicaliser le site de Carhaix malgré la fusion, sans cette dernière, c’eût été mission impossible. Le bilan de la fusion est donc à mon sens forcément positif puisque nous avons toujours un hôpital et qui n’a, à ce jour, perdu aucun de ses services bien que certains soient en ce moment dans une situation préoccupante!

L’offre de consultation est aussi diversifiée grâce à la fusion, puisque pour une bonne partie des spécialités ce sont des praticiens de Brest qui viennent faire des consultations sur Carhaix à une fréquence qui varie selon les disciplines. Si cette offre est insuffisante en proportion des besoins de la population, elle a le mérite d’exister et d’être déjà bien développée pour un hôpital de cette taille.

De même, certains services ont pu créer une dynamique positive avec leurs collègues de Brest aidant à la pérennisation des services et une meilleure prise en charge des patients (avis de spécialistes brestois facilités, etc.).

La fusion a aussi permis à Carhaix de bénéficier de moyens financiers plus importants pour certains investissements lourds et de l’infrastructure du CHU pour les examens des patients.

En contrepartie, Carhaix a perdu en autonomie de décision…»

Vous êtes passé par plusieurs hôpitaux, quels points communs et quelles différences voyez-vous dans le fonctionnement de ces structures ? Selon vous, quelles sont les forces et les atouts d’une petite structure comme celle de Carhaix ?

«Généralement, plus la structure est grosse, plus il y a de strates de décisions, moins les gens se connaissent (on ne connaît que ceux avec qui on travaille régulièrement). Au contraire, dans les petites structures comme Carhaix, tout le monde se connaît plus ou moins, les relations sont généralement plus simples et directes, la gouvernance est plus simple et les décisions prises plus «proches du terrain», ce qui est un avantage et un véritable atout. C’est généralement un aspect très apprécié des médecins qui viennent sur Carhaix. Ils y trouvent une ambiance quelque peu «familiale» et sympathique.

Dans une petite structure, généralement les gens «tirent dans le même sens» et «mouillent le maillot» pour leur structure. D’autant plus qu’ils ont conscience que rien n’est définitivement acquis… Il y a souvent une «conscience professionnelle» ou un «sentiment d’appartenance» plus présents que dans de grandes structures «impersonnelles», même si on ne peut pas généraliser à l’excès…

En contrepartie, souvent, mais pas toujours, les petits établissements ont plus de difficultés financières que les gros (qui bénéficient de plus de subventions et crédits pour telle ou telle mission, qui font des économies d’échelle, et pour qui le système de tarification à l’activité (T2A) est mieux taillé).

En cela la fusion avec le CHU aide Carhaix.»

Les urgences et la maternité semblent à nouveau menacées, la cardiologie demande également une attention redoublée… Comment analysez-vous la situation de l’hôpital ? Doit-on craindre des fermetures prochaines ?

«La situation de la maternité me semble pour le moment stabilisée, mais rien n’est définitivement acquis. Il n’y a pas eu de réelle menace récente à ma connaissance sur la maternité. Il y a eu une forte inquiétude, justifiée, avec la mise en application de la loi RIST. On pouvait en effet craindre que des anesthésistes intérimaires refusent les missions au vu des tarifs proposés. Mais la directrice du site de Carhaix et sa secrétaire se sont démenées pour, avec l’aide des Affaires Médicales, proposer aux différents intérimaires des contrats, et s’assurer de leur présence. Les plannings se sont bien remplis, mais la situation reste fragile. Ces recherches de médecins, parfois dans l’urgence, ne sont pas rares, mais plutôt une activité quasi quotidienne pour certains.

Garder une pression et une vigilance, mais sans être alarmiste et effrayer potentiels médecins et patients, est un équilibre délicat, les «buzz» négatifs entraînant immanquablement des pertes de patients ou parturientes (qui parfois ne retiennent que: «la maternité va fermer»).

Donc, à ce stade, je dirais que de ce côté «ça va, mais il faut rester vigilant».

Sans service d’urgences 24h/24, c’est la mort programmée du territoire

Pour ce qui est des urgences, la situation a été critique sur tout le territoire cet été, mais cela a été particulièrement marqué à Carhaix puisque la «régulation» (accueil uniquement des patients adressés par le 15) a duré tout l’été. Mais ce qui est encore plus problématique c’est que la réouverture attendue avec la fin de la période de congés d’été ne se profile pas encore.

Actuellement, ce qui est mis en place est une ouverture normale uniquement sur des horaires de journée.

Ce n’est évidemment pas satisfaisant. Là encore, il est INDISPENSABLE d’avoir à Carhaix un service d’urgences ouvert 24h/24! Sans service d’urgences 24h/24 ce sera la mort programmée du territoire et de l’hôpital car il y aura encore moins de médecins à venir s’installer dans le secteur, mais aussi moins d’entreprises, etc. C’est un cercle vicieux qui s’enclenchera.

Un hélicoptère de plus ou quelques ambulances de plus ne remplaceront jamais un service d’urgences (ils ne peuvent être qu’à un endroit à la fois, embarquer un équipage, etc. alors que dans un service d’urgences, une part très large des patients viennent par leurs propres moyens. Je n’ai pas les chiffres, mais je pense que pour Carhaix il doit bien y avoir 80% ou plus des patients qui sont venus par leurs propres moyens.)

Pour la cardiologie, là encore il faut de la ressource médicale… l’horizon s’assombrit ou s’éclaircit par moments… Mais à ma connaissance, à ce jour, aucune solution ne règle le problème pour de bon.

Les «Y’a qu’à… » ou la coopération ?

Bien sûr, est souvent évoquée la gouvernance: Est-ce que la direction joue le jeu? Est-ce que l’ARS joue le jeu? Ou est-ce qu’ils essaient de façon indirecte et insidieuse de mettre à mal l’hôpital de Carhaix?

Je pense que la question est plus complexe que cela. Oui, il faut une grande vigilance et une certaine «pression» car d’aucuns aimeraient bien voir quelques services en moins à l’hôpital de Carhaix, que ce soit les directions ou dans le corps médical, à Brest ou ailleurs… Mais il en est d’autres qui se démènent réellement pour Carhaix.

Je pense que personne n’envisage une fermeture totale de l’hôpital de Carhaix, mais certains verraient d’un bon œil qu’il ne soit consacré qu’à de la médecine et de la réadaptation (c’est-à-dire sans chirurgie, sans maternité, voire sans service d’urgences).

Mais il est indispensable que l’hôpital de Carhaix conserve une offre de soins complète de MCO, c’est-à-dire de Médecine, de Chirurgie, et d’Obstétrique… avec un bon service d’urgences et des plateaux techniques.

Je ne connais pas de solution simple… les «Y’a qu’à…» sont séduisants et rassurants, mais ne permettront pas de trouver une réelle solution. Et dans le contexte actuel de pénurie, penser pouvoir contraindre les médecins à venir sur Carhaix s’il ne le veulent pas est à mon sens illusoire… certains font peut-être du chantage mais ils auront l’embarras du choix pour aller ailleurs s’ils le veulent.

Je pense que la solution sera dans une réelle collaboration entre la direction du CHU, les élus des différentes strates du territoire pour construire un réel projet structurant autour de l’hôpital et l’accueil de médecins brestois, d’internes, etc. pour enclencher une dynamique positive de coopération et de mise en valeur, à la fois du territoire et de l’hôpital de Carhaix.

Je crois plus à un système d’incitation qu’à un système de coercition en ce domaine. Il y a différents champs qui peuvent être explorés comme un internat, des parcours professionnels pour les jeunes médecins et internes (qui intègrent Carhaix, etc.)

Je pense que si tout le monde se mettait autour de la table pour tirer dans le même sens sans défiance, les idées ne manqueraient pas.

Mais si chacun reste de son côté à attendre que l’autre fasse tout ou presque, rien ne se fera et il y a à craindre pour l’avenir.»

Vous avez repris très récemment la cordonnerie de Carhaix, pourquoi un tel choix, une telle réorientation professionnelle ?

«Il y a plusieurs raisons à cela, et c’est l’ensemble de ces raisons qui m’ont amené à entreprendre ce changement assez radical. Je vous les livre sans ordre spécifique.

Tout d’abord, je précise que j’aime le travail manuel –j’aime faire (ou réparer) quelque chose de mes mains– et que j’en ai l’habitude dans mon «temps libre», que ce n’est donc pas quelque chose de nouveau. J’aime beaucoup travailler le cuir, le fer, le bois… le métier de cordonnier multiservice m’a particulièrement intéressé quand j’ai découvert que Jean-Jacques Février prenait sa retraite et n’avait pas de repreneur…

D’autre part, comme précisé dans la présentation, je suis très engagé dans le scoutisme et dans l’œuvre au Centre Missionnaire, et ces engagements me prennent beaucoup de temps. Une bonne partie de ces engagements m’amènent, après mes journées de travail au bureau, à de nouveau me mettre au bureau et à travailler. Or, je pense, en tout cas pour moi-même, qu’il est important d’avoir à la fois une activité «intellectuelle», et une activité «manuelle». Je trouve cela important pour l’équilibre. Je n’avais plus trop le temps de travailler de mes mains, et j’aspirais à retrouver si possible cet équilibre. J’ai donc choisi de changer mon emploi plutôt que les engagements qui me tiennent à cœur.

De plus, ayant accru mon investissement dans ces engagements ces derniers temps (notamment avec le pastorat), j’avais plus de difficultés à avoir la disponibilité que j’estime qu’un cadre doit avoir pour son service et son établissement. Je ne souhaitais pas que mon engagement professionnel pâtisse de mes engagements personnels.

Avec ce changement d’emploi, je peux choisir de m’organiser comme je le souhaite (mais sans non plus me faire d’illusions; je sais qu’il me faudra en assumer les conséquences). Ainsi, je peux plus facilement concilier mes engagements personnels, familiaux, et mon activité professionnelle.

Un autre point également, c’est qu’en tant que cadre de la fonction publique, nous sommes contraints à un certain devoir de réserve qui, selon la hiérarchie et les règlements, peut parfois être un peu contraignant. Or, j’aime ma liberté d’expression.

Et ce que j’apprécie particulièrement avec le travail manuel, c’est qu’il y a beaucoup de moments où les mains travaillent, mais où l’esprit est libre! Du «temps de cerveau disponible» selon l’expression.

Enfin, ce changement permettait de maintenir un service à la population centre bretonne, un commerce à la fois de proximité, et tendant, par sa rareté, à devenir un commerce de destination (pour lequel on se déplace)… ce qui n’est pas anodin pour quelqu’un formé au développement des territoires.»

Le travail manuel laisse la possibilité de penser… cet aspect a beaucoup compté dans votre choix ?

«Oui ! Avec celui de la possibilité d’organisation que ce changement me donne, c’est un des aspects qui a été le plus important pour moi. J’aime avoir l’esprit libre et pouvoir réfléchir. Réfléchir, mais aussi, pour moi qui suis chrétien, prier et méditer.

Dans notre société, tout doit toujours aller vite, le cerveau est hyper sollicité, il n’y a jamais eu autant de temps libre, et pourtant les gens n’ont jamais autant «manqué de temps»…

On ne prend plus assez le temps de s’arrêter, de réfléchir, de méditer… (C’était le côté positif de l’heure de trajet que j’avais quand je travaillais à Guingamp ou Saint-Brieuc… je pouvais mettre ce temps à profit pour cela).

Nous sommes souvent pris dans un «tourbillon» (ou un algorithme?) qui tourne de plus en plus vite et où tout semble fait pour nous «manger notre temps» ou, en tous cas, capter notre attention et notre cerveau.

Alors bien sûr, métier manuel ne veut pas dire vie d’ermite! Surtout dans une cordonnerie multiservice où il y a bien du passage! Mais c’est un équilibre qui me convient bien. Et ces contacts sont aussi enrichissants.»

Enfant déjà vous aviez un attrait particulier pour les activités manuelles, le travail du bois, du cuir… vous vous êtes même initié à l’art de la forge et le pratiquez également. Pourquoi la cordonnerie l’a-t-elle finalement emporté ?

«Effectivement, étant petit j’aimais déjà «bricoler». C’était surtout le bois au départ (ressource la plus facilement accessible), mais rapidement j’ai pu travailler un peu le cuir. Et cela me plaisait beaucoup.

Le travail de l’acier m’a toujours «fasciné»; mais est longtemps resté dans le monde de l’imaginaire et du jeu (être forgeron pour forger des couteaux et des épées) car il requiert un outillage spécifique et des compétences difficilement accessibles à un enfant et même à un jeune s’il n’a pas un proche pour l’initier.

Mais plus tard, tout en continuant à travailler le bois et le cuir, à mes heures perdues, (et apprenant avec des amis ou de la famille), je me suis aussi initié au travail de l’acier. Couper et souder à l’arc pour commencer, puis je me suis construit une petite forge et j’ai commencé à apprendre la ferronnerie et la taillanderie. A la fois seul devant ma forge, des livres ou des tutoriels, mais aussi au début avec un cousin doué dans les divers travaux manuels et plus tard en faisant quelques stages avec un forgeron avec qui j’ai sympathisé…

Si j’aime toujours travailler le bois, c’est le cuir et l’acier qui ont nettement ma préférence.

Mais pourquoi la cordonnerie plutôt que la forge…? C’est un principe de réalité et de pragmatisme…

C’est la cordonnerie qui s’est présentée et qui était le plus facilement «accessible» (d’autant que Jean-Jacques se proposait de m’accompagner et me former). C’est dans ce domaine que je pouvais approfondir le plus rapidement mes compétences. Il y avait sur place un marché à reprendre, sans concurrence… et cela rendait service à la population.

De l’autre côté, «c’est en forgeant que l’on devient forgeron» dit le proverbe… je vous assure qu’il est on ne peut plus vrai! Atteindre un rendu professionnel aurait exigé encore beaucoup de temps et d’entraînement.

Il aurait fallu passer au minimum le CAP pour exercer pleinement, et il n’y avait pas d’assurance d’avoir des débouchés, etc. C’est également très physique et un problème de santé, d’articulation ou de tendon peut rapidement mettre fin à votre carrière.

Mais je dois reconnaître que l’idée a fait plus que m’effleurer et que je me suis beaucoup renseigné sur cette possibilité aussi! J’aurai toujours autant de plaisir à forger quand j’aurai un peu de temps!»

Comment votre épouse a-t-elle vécu ce grand changement ?

«Nous en avons souvent parlé bien avant que le projet ne se concrétise dans mon esprit. Ce n’était donc pas une surprise de ce côté.

Si pour la forge elle avait quelques difficultés à adhérer pleinement, trouvant le projet trop utopique, tout en étant prête au changement si nous l’amorcions et en m’aidant dans les investigations, elle a adhéré tout de suite au projet de reprise de la cordonnerie multiservice.»

Quelles ont été les réactions de vos anciens collègues en apprenant votre réorientation ?

«Les réactions ont été bienveillantes (en tout cas pour celles qui ont été exprimées). Majoritairement le projet a emporté l’adhésion, les collègues étant souvent emballés par le projet, par ce métier atypique et une certaine perpétuation et sauvegarde, à la fois de ce service pour la population, et de ce métier ancestral. Quelques-uns m’ont dit que c’était courageux, qu’ils auraient bien tenté dans tel ou tel domaine mais n’avaient pas osé (soit pas encore osé pour des jeunes, soit se disant que maintenant c’était trop tard pour des plus anciens).

Certains avec qui je m’entendais particulièrement bien ont aussi été un peu déçus de mon départ même s’ils trouvaient super le projet.»

Le personnage du cordonnier est souvent présent dans la littérature enfantine, les contes, incarnant toujours les valeurs de simplicité et de sympathie… Cette image très positive qui a traversé les âges vous semble-t-elle avoir résisté au «modernisme» ?

«C’est vrai que le cordonnier est souvent représenté comme un personnage sympathique et bienveillant, simple et peu fortuné…

Dans la réalité, je pense que comme dans tous les corps de métiers, «il y a de tout»… des sympathiques et des antipathiques…

Mais je pense qu’une partie de l’image vient du fait que le cordonnier vous dépanne. Il répare vos affaires, vous évitant de devoir en acheter d’autres ou de devoir vous séparer d’habits ou d’accessoires auxquels vous accordez une forte valeur sentimentale pour telle ou telle raison.

Je pense donc que globalement oui, cette image perdure malgré le modernisme.»

Quels obstacles avez-vous rencontrés en tant que repreneur d’entreprise ?

«Ma formation initiale et mon expérience à la sous-préfecture m’ont bien aidé à monter ce projet. Cependant, il est vrai que quand il faut se lancer pour de bon, on peut être un peu «perdu» à certaines étapes et se demander quel est le prochain pas pour ne pas «enrayer la machine»…

Mais là, je dois reconnaître qu’il y a beaucoup de structures qui peuvent nous aiguiller. J’ai particulièrement été accompagné par Charly Becker de la Chambre des Métiers et de l’Artisanat dans mes premiers pas, puis par mon cabinet comptable ORCOM en la personne de Patrick Péron. Mais aussi d’autres partenaires à chaque étape. Tous ont été bienveillants, aidants et facilitants.

Ce qui aurait pu être un obstacle, c’est qu’un lancement en septembre sous-entend certaines démarches en juillet et août… et donc certains délais rallongés.

Un autre point qui aurait pu être un obstacle est que, relevant de la Fonction Publique Hospitalière (FPH) pour mon assurance chômage (les établissements publics sont leur propre assureur et ne cotisent pas à Pôle Emploi), je ne peux donc pas bénéficier de l’ARCE. C’est-à-dire que je ne peux pas bénéficier des dispositifs mis en place par l’état ces dernières années prévoyant que quelqu’un qui démissionne pour créer ou reprendre une entreprise puisse bénéficier de l’équivalent de l’allocation chômage…

Mais comme les textes régissant la fonction publique hospitalière n’ont pas tous été mis à jour, les agents de la FPH qui démissionnent pour créer ou reprendre une entreprise ne peuvent y prétendre… Ce qui est tout de même un comble!

Cela aurait pu être un frein, notamment pour les banques, puisque cela exige d’être rentable tout de suite… mais elles ont trouvé le projet viable sans ces aides et m’ont donc accordé leur confiance.»

Si votre activité principale est la cordonnerie et la serrurerie, vous proposez de nouvelles prestations aux clients. Pouvez-vous nous en dire plus ? En quoi consiste votre quotidien ?

«Je n’ai pas encore beaucoup de recul, mais je peux déjà vous dire qu’il n’y a pas de journée type, que ce soit en termes de volume d’activité ou de composition de journée.

L’activité se répartit effectivement principalement entre la cordonnerie (réparation de chaussures, mais aussi d’accessoires, en cuir, mais pas seulement!) et la serrurerie.

Le travail de cordonnerie peut se planifier plus ou moins sur la semaine puisque les clients viennent déposer leurs articles à réparer. Il s’agit généralement de pièces à recoudre ou de recollage de semelles, mais aussi de changement de semelles, de talons, de fermetures éclair, etc.

En revanche pour la serrurerie (la copie de clés pour ce qui me concerne puisque je ne fais pas de dépannage) on est dans l’instantané, «clé minute»… et donc pas de planification, c’est très variable selon les jours. Il en va de même pour les plaques d’immatriculation automobiles (activité qui a d’ailleurs bien diminué depuis que les véhicules ont des plaques «à vie»).

Il y a également de la vente de produits d’entretien et de tout ce qui forme l’univers de la chaussure (embauchoirs, chausse-pieds, crèmes d’entretien, lacets, semelles intérieures, tendeurs de bottes, etc.)

J’ai rajouté une activité d’affûtage de couteaux, ciseaux, et de la plupart des outils à main, notamment ceux du travail du bois (gouges, rabots, rabot-dégauchisseuse, ciseaux à bois, etc. )

J’aimerais aussi développer, si j’en ai le temps et s’il y a de la demande, un peu de création en petite maroquinerie. J’ai d’ailleurs eu la bonne surprise d’avoir dès le premier jour une demande pour la fabrication d’un étui de couteau, et un second projet dans la semaine.»

L’inflation se poursuit et devrait rester à un niveau élevé pendant plusieurs mois encore en France, quels sont et seront selon vous les impacts sur votre activité ? De même, le regain d’intérêt pour les matériaux «nobles» et pour le durable et réparable en opposition au jetable… vont-ils permettre au cordonnier, au rémouleur… de retrouver tout leur sens et leur place ?

«Il y a effectivement un double effet qui se conjugue; celui d’une tension économique et donc d’une tension sur le pouvoir d’achat, qui hélas devrait s’installer dans la durée, et celui d’une percée de l’écologie, avec une prise de conscience de la non-soutenabilité du modèle consumériste actuel.

Je pense que ces deux tendances agissent sur un panel assez large de personnes et permettront effectivement d’assurer la pérennité voire la croissance de ce métier. Quelles qu’en soient la raison et la motivation, de plus en plus de gens se demandent avant de jeter si ce n’est pas plutôt réparable.

C’est un bon réflexe qui avait eu tendance à se perdre, mais qui revient, et je crois, reviendra encore plus à l’avenir. Il est bon à tout point de vue puisqu’il permet de limiter le gaspillage, la pollution, etc., tout en ayant un effet bénéfique sur le pouvoir d’achat puisqu’une réparation chez le cordonnier coûte souvent aux alentours de 15€…. Ce qui reste généralement moins cher que d’acheter du neuf…

Pour une fois qu’une attitude écologique est dans le même temps économique… pourquoi s’en priver? Je pense effectivement que la réparation et l’entretien ont encore de beaux jours devant eux!»

Vous êtes également chef scout au sein de la troupe Ar Menez du Centre Missionnaire; que vous a apporté le scoutisme et que peut-il apporter aux jeunes d’aujourd’hui ?

«Le scoutisme est pour moi une invention merveilleuse. J’ai eu l’immense privilège de «tomber dedans quand j’étais petit» comme dirait un célèbre Gaulois ! Mais comme il n’y a pas d’effets secondaires indésirables, pas de restriction dans ce cas-là ! Et heureusement, car quand le virus vous prend vraiment… il ne vous lâche plus !

Inventé par Robert Baden-Powell en 1907, c’est une école de la vie. École de la vie, mais aussi de l’aventure, de la fraternité, de la foi (au moins pour les troupes confessionnelles), du partage, et de bien d’autres choses encore!

Pour moi le scoutisme, c’est avant tout un état d’esprit et un engagement. «L’esprit scout» a une grande importance dans la pratique du scoutisme. C’est ce qui lui donne sa bonne saveur. Sinon on peut faire toutes sortes d’activités, mais il manquera un ingrédient essentiel… comme un plat de très bons mets qui serait fade, faute d’assaisonnement…

C’est aussi un engagement car le scout doit très tôt s’engager, au travers de la promesse scoute. Et il va justement s’engager à respecter un certain nombre de valeurs et de lignes de vie qui vont lui permettre, s’il tient sa promesse, d’avoir et de conserver cet «esprit scout».

Le scout est résolument tourné vers les autres. Il apprend donc à rendre service aux autres (la fameuse BA ou Bonne Action quotidienne l’y conduit), mais aussi à les respecter et les aider sans faire de différences. Il se considère comme le frère de tout autre scout, c’est pourquoi l’on parle d’une fraternité scoute, ou d’une «grande famille». Il apprend à être loyal et vrai, honnête… même quand cela lui coûte. A être économe et débrouillard, à prendre des responsabilités au sein de sa patrouille ou de la troupe. Le scout apprend à vivre dans la nature, en harmonie avec elle, et il apprend donc à la connaître et à la respecter. Il apprend aussi à obéir, à se maîtriser et se discipliner. Le scout s’engage aussi à veiller à la pureté de ses pensées, ses paroles et ses actes…

Il met tout son honneur à respecter ces valeurs qui sont sa loi et qu’il a un jour promis de respecter.

On insiste souvent sur le côté «débrouillardise» et apprentissage de techniques car c’est peut-être la face visible de l’iceberg, mais c’est un tout bien plus vaste qui repose sur des bases plus profondes.

Le scoutisme m’a apporté des valeurs, des connaissances et des compétences. Il m’a fait vivre des expériences formatrices qui m’ont aidé tout au long de ma vie. Il le fera de même pour tous ceux qui auront la joie de le pratiquer et c’est pourquoi j’ai à cœur, moi qui ai tant reçu par le scoutisme, de donner cette possibilité à d’autres, d’où mon engagement comme chef scout.»

Comment expliquez-vous le regain d’intérêt pour le scoutisme depuis plusieurs années ?

«Je pense qu’il y a plusieurs explications, tout comme il y a plusieurs mouvements, et de nos jours plusieurs types de scoutisme.

Une des raisons est le regain d’intérêt pour les activités de plein air en général et pour la nature, sur fond d’écologie, etc. Certains vont donc s’intéresser au scoutisme sous cet aspect «proximité avec la nature». Cela semble particulièrement fort depuis les confinements qui ont fait redécouvrir l’importance et les bienfaits du grand air!

D’autres vont être plus intéressés par ce côté «débrouillardise» dans une société d’assistés qu’est la nôtre (on ne sait plus rien faire par soi-même, il faut toujours demander à quelqu’un de le faire pour nous). Le scoutisme sera alors vu comme une bonne école pour ne pas avoir «les deux pieds dans le même sabot» comme l’on dit en Bretagne.

Pour d’autres, ce pourra être justement ces «valeurs morales» qui manquent beaucoup à notre société qui vont intéresser.

Pour d’autres enfin, ce sera plus prosaïquement le fait que les enfants seront occupés à des activités saines plutôt que de rester devant la TV ou faire les quatre cents coups… et pour un faible coût généralement.

Je pense qu’il y a un peu toutes ces raisons, qui peuvent toucher des personnes différentes et peuvent les orienter vers des troupes et des mouvements différents.

Il est certain que le scoutisme peut répondre à toutes ces attentes à la fois. Mais pour moi, le plus important ce sont les valeurs et l’état d’esprit, même si j’apprécie énormément toutes les autres facettes qui cadrent bien avec mon côté un peu « survivaliste modéré » et « bushcraft ».»