Tout autour, le paysage est d’un blanc immaculé. La neige fraîche et le vent ont effacé les traces de la motoneige, et même le regard le plus perspicace ne peut suivre le chemin par lequel elle est passée. Cela fait plusieurs jours que Brian Koonoo attend en vain l’arrivée des secours dans le froid glacial du grand nord canadien que même le soleil de mai ne parvient pas à réchauffer.

Chasseur expérimenté et passionné

Cet Inuit de 36 ans a quitté Pond Inlet, au Nunavut, petit bourg de quelque 1500 habitants, situé à l’extrême nord de la Terre de Baffin, le 10 mai 2015 pour chasser le caribou. Chasseur expérimenté et passionné, Brian s’apprête à parcourir, avec sa motoneige et un traîneau de cinq mètres de long, rempli de provisions, quelque 500 km pour rejoindre des amis chasseurs. Il a prévu de faire halte à plusieurs reprises dans des cabanes de chasse rudimentaires, disséminées sur cet immense territoire.

Muni d’un équipement technologique moderne, notamment une puissante radio émettrice et un GPS pour s’orienter, il pense être à l’abri de toute mésaventure. Mais arrivé à la première cabane, une très mauvaise surprise l’attend. Il ne trouve plus la radio qui est sans doute tombée du traîneau en cours de route. Son sac de couchage a également disparu. Il lui reste bien une petite radio portative mais de si faible signal qu’elle ne sert pas à grand-chose dans ces vastes étendues.

Jeune sportif, habitué à la vie dure de ces contrées, Brian ne s’inquiète pourtant pas dans un premier temps. Il a toujours sa motoneige et après une nuit de repos, il se met en route vers le sud, espérant rejoindre Naujaat, la ville la plus proche, située approximativement à une journée de là.

Mais durant cette étape, les ennuis continuent. Au cours de l’après-midi, dans le terrain accidenté, soudain, la motoneige tombe en panne, victime d’un problème de transmission, et la batterie du GPS est faible. Que faire? Comme il est déjà en retard par rapport aux prévisions, il est possible que les secours soient déjà déclenchés, et pour faciliter les recherches, il décide de rester attendre sur place. Il plante donc sa tente, s’y abrite à côté de son petit réchaud de camping et s’arme de patience.

Des recherches rendues difficiles par le blizzard

Et effectivement, comme Brian n’est pas arrivé le vendredi 15 mai comme prévu, des recherches ont été lancées. Des motoneiges sont parties de Pond Inlet ainsi que de Sanirajak et de Naujaak, situés bien plus au sud. Le blizzard a cependant rendu très difficile leur progression, et lorsque le beau temps revient, toute trace du parcours de Brian a été effacée. Le samedi soir, le Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage de Trenton, en Ontario, envoie aussi des avions survoler le parcours présumé du chasseur, mais sans résultat.

Pour Brian, le temps d’attente est très long et terriblement éprouvant. Il voit bien quelques avions survoler son campement, et pour se faire repérer, il agite son couteau et son fusil, espérant que l’éclat du métal attirera l’attention du pilote. Mais en vain! Chaque fois, il voit l’appareil s’éloigner, et autour de lui, c’est le silence complet, hormis des hurlements de loups. Il pense de plus en plus en plus à sa femme Samantha et à ses cinq filles restées à la maison, et à certains moments, il désespère de les revoir un jour.

Le 17 mai, il n’en peut plus. Voyant que les secours n’arrivent pas, il comprend qu’il ne peut compter que sur lui-même pour s’en sortir. Durant sa solitude, il a eu le temps de réfléchir sur tous les moyens modernes pour s’orienter et pour communiquer, des moyens qui ont radicalement changé les conditions de vie de ces peuplades isolées, et qui sont certes précieux dans bien des situations, mais là, il a vu aussi leur fragilité et leurs limites. Et il s’est mis à se remémorer tous les conseils qu’il a reçus de son père et de son grand-père, des conseils qui s’appuyaient sur les connaissances et les expériences ancestrales de son peuple et qui ont permis aux Inuits de survivre dans des conditions extrêmes. Il conclut que si les techniques modernes sont bien utiles, il ne faut cependant pas oublier tout cet acquis des anciens, il ne faut pas que les techniques ancestrales se perdent.

« Ne pas abandonner ! Quoi qu’il arrive !»

Dans sa situation de détresse, il mesure la fragilité de l’homme, il prie, et il décide, si jamais il s’en sort vivant, d’écrire un livre pour à la fois inciter les jeunes de son peuple à ne pas oublier l’acquis ancestral et aussi pour les exhorter à ne jamais abandonner dans des situations extrêmes.

Lui-même, à certains moments, a senti le courage l’abandonner, mais le 17 mai, il prend la résolution de lutter jusqu’au bout pour s’en sortir. « Je veux revoir ma femme, je veux voir mes filles grandir », se dit-il en se mettant en route, n’emportant que son fusil et son couteau ainsi que le strict minimum de nourriture. Il sait qu’il se trouve à quelque 60 kilomètres de Repulse Bay, l’endroit habité le plus proche.

60 kilomètres de marche dans une neige profonde, dans un terrain si accidenté qu’il doit parfois tailler des prises dans la glace avec son couteau pour monter. La nuit, il essaie de se protéger du froid en se creusant un abri dans la neige, comme son père lui a appris à le faire. Se réveillant en grelottant, il sait qu’il n’a pas d’autre choix que de se remettre en route, bouger constamment pour ne pas mourir de froid. A plusieurs reprises, il s’écroule, épuisé. Mais chaque fois, il se relève, avec une seule pensée en tête: «ne pas abandonner!» Chaque fois qu’il remonte une pente raide, il espère découvrir à l’horizon un lieu habité, mais ce n’est que le quatrième jour, à l’aube, qu’il voit, au loin, quelques habitations. Il y arrive vers 5h30, et la femme qui l’accueille lorsqu’il frappe à la porte, n’a pas besoin d’explications. Après avoir bien scruté son visage, elle s’exclame: «Mais vous êtes l’homme que nous recherchons!»

Arrivé chez lui à Pond Inlet, c’est l’accueil triomphal, la joie immense des retrouvailles en famille et entre amis.

Brian Koonoo a tenu sa promesse en écrivant un bref récit de son aventure, intitulé, en langue inuktitut «Inuunira»: My Story of Survival (Le récit de ma survie).

«Mon voyage de survie, explique-t-il, m’a donné l’occasion d’aider mon peuple… Chaque fois que vous vivez des circonstances difficiles, rappelez-vous que nos ancêtres… ont été capables de survivre dans les conditions les plus difficiles… Nous devons veiller à ce que les générations futures ne perdent pas notre mode de vie. Les Inuits sont forts, et ils sont plus forts lorsqu’ils s’entraident.»

Il explique aussi comment l’épreuve, si on l’affronte avec courage, peut nous rendre plus forts, que la douleur et la lutte peuvent devenir une leçon qui donnera des forces dans les moments difficiles.

«La vie est précieuse, conclut-il. Je devais partager le message avec d’autres pour qu’ils n’abandonnent pas. Quoi qu’il arrive ! »