La meunière avait préparé pour nous un bon souper, puis, chacun, un lit-clos où tout était de la plus grande propreté. Il y avait au moins quinze ans que je n’avais dormi dans un de ces lits particuliers à la Bretagne… Couvert d’une énorme couette de balle, et fatigué, j’y dormis profondément, mais au milieu de la nuit, je fus réveillé par le hurlement des loups…”

En mars 1892, le directeur de la Mission Évangélique de Trémel, petit bourg situé entre Guerlesquin et Plestin les Grèves, allait de découverte en découverte! Il avait passé la nuit au moulin de Conval, dans la commune de Poullaouën, chez son ami Yves Ropars, marié à Marie-Louise Morvan, originaire comme lui de Plusquellec.

C’est l’année précédente qu’en passant par Carhaix, Yves Ropars avait assisté à une réunion d’explication de la Bible dirigée par un évangéliste de Trémel, Georges Le Touche. Bouleversé au plus profond de lui par le message de l’évangile, il avait accepté une Bible. Il l’avait soigneusement étudiée, partageant autour de lui avec zèle et conviction la découverte qu’il avait faite. 

Le meunier devient instituteur

Il fut sollicité par ses amis pour lire et expliquer cette Bible que le pasteur de Trémel, avait traduite en breton, ce qui lui avait valu d’être reçu à l’élysée le 6 décembre 1889, pour en remettre un exemplaire en main propre au président de la république Sadi Carnot. Les amis d’Yves Ropars auraient aimé pouvoir lire eux-mêmes la Bible, mais leur manque d’instruction était un obstacle. Qu’à cela ne tienne, Yves Ropars se fait instituteur!

Voici ce qu’écrivait le pasteur de Trémel à son sujet en avril 1892: “Bon nombre de ses voisins le supplient de leur apprendre à lire le breton, puisque le plus beau livre de la terre est maintenant en leur langue. Je lui ai envoyé 100 alphabets bretons, et il est maintenant à l’œuvre, apprenant leurs lettres à des personnes âgées pour qu’elles puissent elles-mêmes lire les choses admirables qu’elles entendent”. 

Bientôt une petite chapelle fut construite à Conval “grâce au courage et à l’énergie de notre frère Ropars qui, ainsi que ceux qui l’aident, ont travaillé jour et nuit à cette excellente construction”. Elle fut inaugurée le 27 septembre 1892, et on peut noter que celle-ci existe encore aujourd’hui! Conval est devenu une étape pour les colporteurs et évangélistes qui sillonnaient la région, à pied ou avec les voitures bibliques: MM. Le Touche, Omnès, David, Masson… De même, le pasteur de Trémel, couramment appelé «le père Coat» (un petit-fils du fabuliste breton Guillaume Ricou), venait chaque année avec les soutiens et admirateurs de la mission. Il y avait tout un circuit de visite des foyers évangéliques du Centre Bretagne: Callac, Carhaix, Poullaouën, La Feuillée, Huelgoat. Conval fut une halte supplémentaire pour ces visiteurs venus des quatre coins de la France et de l’étranger. Il est vrai que la Mission évangélique Bretonne de Trémel était particulièrement dynamique puisqu’elle rayonnait jusqu’à Brest, les Iles anglo-normandes, et même Le Havre! 

Un double mariage avec 800 convives

Le directeur de la Mission Évangélique Bretonne de Trémel avait fait à Conval une expérience qui aurait pu lui être fatale!

Une réunion devait se tenir un soir dans la commune de Plouyé, mais il fallait traverser l’Aulne toute proche. C’est dans une charette tirée par un cheval que le cours d’eau fut traversé. Pour l’aller, vers 19h30, tout se passa bien: le cheval, tantôt nageant, tantôt marchant sur le fond de la rivière, traversa sans problème le cours d’eau.

Mais au retour, deux heures plus tard, ce fut une autre histoire. C’est encore le pasteur de Trémel qui la raconte:

“L’eau avait grossi, et arrivé au milieu de la rivière, notre pauvre «moteur» était entraîné par le courant et nous à sa suite, bien entendu. Notre ami comprit notre situation. D’un bond il s’élança de la charrette sur le cheval, on vira ce «bateau» d’un nouveau genre et, grâce à Dieu nous atteignîmes sains et saufs l’autre rive”. Le meunier entreprit alors de construire une passerelle pour franchir la rivière. Yves Ropars et la congrégation du moulin de Conval firent l’objet d’une large publicité bien plus tard, quand eut lieu, le 29 septembre 1910, le mariage de deux de ses enfants. Toutes les paroisses de la région reçurent des instructions de l’évêque. Il interdisait formellement toute participation à un quelconque office protestant, et particulièrement à cette noce!

Taldir Jaffrenou publia un article dans l’édition du 1er octobre suivant d’Ar Bobl, le journal du barde carhaisien: “Diou eureud protestant” (Deux mariages protestants), et “La dépêche de Brest” en fit aussi un compte-rendu dans son édition du 30 septembre: “Une noce originale, –(de notre envoyé spécial)–”. On y apprend, entre autres, que la noce réunit quelque 800 personnes!

Le pasteur de Trémel officia et, “après lui, M. Collobert, pasteur à Lannéanou, prononça un sermon enflammé, en breton également; puis un groupe de dames chanta des Kanaouennoù Kristen (chants chrétiens) accompagnées à l’harmonium par M. Somerville”. Ce pasteur Jules Collobert, par ailleurs ébéniste et sculpteur de talent,  était lui aussi très apprécié dans la région, et fut même élu maire de Lannéanou en 1929.

F.K.