Lorsqu’il s’écarta de la piste qui devait le mener aux « Chutes de Poubara », dans le sud-ouest du Gabon, Bravo Salvador savait qu’il prenait un risque. Voulant à tout prix gagner du temps en cette fin d’après-midi, où la lumière baisse très vite dans ce pays équatorial, il cherchait un raccourci, laissant son épouse Claire et son fils Christian poursuivre le chemin normal avec le jeune guide gabonais qui leur avait proposé ses services.

Se frayant un chemin dans la végétation touffue de la forêt tropicale, il ne vit pas l’individu, sans doute caché derrière un arbre, qui soudain lui asséna deux coups de gourdin très violents. Sans réaliser ce qui lui arrivait, Bravo Salvador tituba et tomba, évanoui.

Ce médecin français d’origine espagnole aimait venir au Gabon, un pays où il avait travaillé comme chirurgien pendant plusieurs années, responsable d’une clinique non loin de Franceville, avant de s’installer, avec son épouse, dans le sud de la France, où il dirigeait un petit cabinet médical.

Des recherches vaines pendant plusieurs jours

En ce mois de novembre 1991, il n’avait donc pas hésité à répondre à une invitation d’un ami gabonais, Okinda, qui n’était autre que le ministre de la santé de ce pays, pour venir passer quelques jours de vacances chez lui. Ce mercredi 6 novembre était l’un des derniers jours de ce séjour, et il avait décidé d’emmener les siens voir les « Chutes de Poubara » avant le retour en France.

Pendant ce temps, son épouse et leur fils avaient suivi le jeune guide jusqu’aux chutes. N’y trouvant pas son mari, Claire après l’avoir appelé en vain, finit par envoyer le guide chercher du secours pendant qu’elle-même et Christian retournaient à la voiture.

Son mari n’y était pas. La nuit tropicale était tombée, et il n’y eut aucun signe de lui. A la station hydro-électrique toute proche, Claire put trouver un téléphone et appeler le ministre de la santé afin que celui-ci donne l’alarme.

Des recherches qui se poursuivirent pendant plusieurs jours ne donnèrent aucun résultat. Elles étaient fréquemment interrompues par des orages violents. Mme Salvador et son fils Christian durent retourner en France sans la moindre nouvelle du disparu qui gisait, inconscient, dans la forêt, proie facile pour les bêtes sauvages qui la peuplaient.

Quelque 36 heures dans le coma

Lorsque, enfin, il se réveilla, il regarda sa montre. Elle indiquait le vendredi 8 novembre, 8 heures du matin. Il se rappela que c’était le mercredi 6 novembre à 16 heures qu’il avait quitté les siens. Il était donc resté là, au sol, inconscient, pendant quelque 36 heures.

Un frisson le parcourut. Il avait mal partout, notamment aux côtes, sa tête était enflée. Il pensa avec effroi aux serpents venimeux dont cette jungle était infestée, des serpents dont le venin tuait au bout de quinze minutes, il pensa aussi à toutes les autres bêtes redoutables, petites et grandes qui constituaient une menace constante. Il constata que son appareil photo avait disparu, que son porte-feuille était vide, mais ses agresseurs n’avaient sans doute pas vu sa montre.

Il avait faim, il avait surtout terriblement soif, il pouvait à peine se lever pour se mettre en route. Trouvant un bâton par terre, il le prit pour s’aider dans la marche difficile, et aussi pour se défendre dans cet environnement hostile. Au bout de quelques dizaines de mètres dans cet enchevêtrement luxuriant de végétaux de toutes sortes, ses vêtements étaient en lambeaux. Suivant la trace laissée par des éléphants, il arriva à un trou d’eau. Malgré le risque sanitaire, il but de grandes gorgées pour étancher sa soif, par contre, il ne toucha pas aux végétaux pour apaiser sa faim. Il connaissait trop bien le risque de hâter sa mort par dysenterie ou autre dérangement intestinal.

Au début de l’après-midi, il arriva à la lisière de la forêt et déboucha sur une savane ensoleillée, écrasée par une chaleur insupportable.

Mais pour trouver à boire, il dut retourner dans la jungle en suivant de nouveau la trace des éléphants. Il passa la nuit près du trou d’eau, bourrant sa chemise de feuilles à la fois pour se mettre à l’abri du froid de la nuit et se protéger des morsures de serpents. Il se roula également dans la boue pour s’en couvrir d’une couche épaisse, obéissant ainsi à un conseil de Pygmées qu’il avait eu l’occasion de soigner lorsqu’il était médecin au Gabon.

Près du but… mais bloqué au fond d’un ravin!

Le samedi, retrouvant la savane, il se dirigea vers le nord qui était pour lui la direction de la civilisation.

Mais la route était longue, les dangers nombreux. Pendant plusieurs jours, il erra entre la savane et la forêt. Une nuit, il fut réveillé en sentant un souffle chaud sur son visage. C’était un éléphant. En bougeant, il le fit partir. Un autre matin, ce fut un phacochère qui le réveilla d’un coup de langue.

A plusieurs reprises, il sentit qu’il était tellement à bout de forces qu’il ne pouvait plus continuer. Il avait juste envie de rester sur place attendant la mort. Parfois, il frôlait véritablement la folie. Voyant un matin, au loin, une forêt qui n’était pas la forêt tropicale sauvage mais une plantation de résineux, il sut que la civilisation était là, mais en même temps, le désespoir le saisit de voir le salut si proche mais hors de portée, vu son état de santé.

Le huitième jour après son agression, le jeudi 14 novembre, il se réveilla à cinq heures du matin. Il était tout près du but, mais il était coincé au fond d’un ravin, bloqué, dans l’impossibilité d’en sortir. Il était pourtant à quelques mètres seulement de la plantation. C’est là que, soudain, il entendit distinctement le bruit de voitures. Il tenta alors, dans un dernier effort, de grimper hors de ce ravin qui le séparait du salut, mais il en fut incapable ! Il s’y prit à six reprises, mais en vain ! Puis, il entendit des voix et cria alors de toutes ses forces. Du haut de la falaise, on l’avait entendu, et peu après, il entendit des hommes avancer vers lui à coups de machettes. Lorsque deux Gabonais surgirent en sueur devant lui, le docteur Salvador sut que son supplice était terminé, qu’il était sauvé. Transporté à l’hôpital de Franceville, il reçut tous les soins nécessaires. Il avait perdu 10 kilos, il avait deux côtes fracturées, de nombreuses écorchures étaient à vif, mais la boue l’avait certainement protégé en partie. Quelques jours plus tard, lorsque son épouse le rejoignit à l’hôpital, il s’exclama, ému : « Nous avons traversé une terrible épreuve. Maintenant, nous connaissons vraiment le prix de notre amour.»

(Histoire authentique, présentée par A.A., en collaboration avec C.A.)