Kilian Jornet, Xavier Thévenard, Jim Walmsley, Tim Tollefson, Hayden Hawks, Sylvain Court, Michel Lanne, sans oublier Gediminas Grinius, Luis Alberto Hernando ou encore Tim Freriks et Zach Miller… une nouvelle fois l’édition 2018 de l’UTMB sera à n’en pas douter le sommet de l’ultra-trail mondial…
Et pourtant, c’est avec une grande simplicité qu’il nous reçoit, dans un modeste local de la vallée de Chamonix, puis nous invite à le suivre dans un salon de thé pour être à l’écart de l’effervescence qui déjà règne dans ses bureaux, à quelques semaines de l’événement! L’Ultra-Trail du Mont-Blanc, l’une des plus mythiques courses à pied au monde, Michel Poletti, son président-fondateur, en parle avec passion, mais également gravité.
Car s’il est déjà possible d’évoquer «l’épopée humaine et sportive» de l’UTMB, l’aventure continue… Et il sait que les retombées économiques et médiatiques, aujourd’hui considérables, ne doivent pas faire oublier la délicate alchimie qui en a fait le succès: la rencontre entre un territoire grandiose et des hommes soucieux d’y faire rimer événement sportif extrême et populaire, ainsi que développement local et coopération internationale !
Plus de 14 millions d’euros de retombées économiques pour le pays du Mont-Blanc, 8000 participants acceptés pour plus de 17000 demandes l’an dernier! Cette réalité économique et sportive, M. Poletti, son épouse Catherine et les huit autres co-fondateurs de l’UTMB étaient loin de l’imaginer, en cette fin du mois de septembre 2002, alors que, sous l’impulsion de R. Bachelard, ils se retrouvaient pour ce qui allait s’avérer être la réunion fondatrice du futur sommet mondial de la course nature appelée «trail». Et pour cause …
Pour la quatrième année consécutive, une course appelée alors le «Tour du Mont-Blanc» était annulée à la dernière minute, faute de participants suffisants, notamment.
Prêts à renverser les montagnes !
Mais cette bande d’amis chamoniards partageait un même sentiment : dans un cadre aussi féerique que celui de la chaîne du Mont-Blanc, alors que ne cessait de croître dans la société l’engouement pour la course à pied en pleine nature et que localement on évoquait de plus en plus la nécessité économique d’être moins dépendant des sports d’hivers, une course majeure l’été, autour du Mont-Blanc, se devait de voir le jour !
Une fois encore, allait se vérifier la règle qui veut que le succès d’une entreprise dépende de la passion d’hommes et de femmes enracinés dans un territoire et prêts à tout donner pour défendre et faire partager les valeurs auxquelles ils croient… quitte à renverser les montagnes!
Chacun allait dès lors apporter ses compétences et sa force de mobilisation. Car organiser un tel événement, une course à pied individuelle sur plus de 150 km de sentiers de montagne, plus de 7500 m de dénivelé positif, traversant 11 communes de France, d’Italie et de Suisse… était bien une gageure !
Ainsi, G. Stoll, intendant du lycée de Chamonix, s’occupa de la logistique, N. Michoux, secrétaire du maire de Chamonix, facilita les relations avec les autres communes, J.C. Marnier, alpiniste de renom et fondateur du G.M.H.M., fort de ses expériences d’organisateur auprès de Thierry Sabine, pour le Paris-Dakar, apporta sa vision stratégique. Ingénieur et chef d’une entreprise informatique, Michel Poletti s’attela à la planification des tâches et la communication… Quant à son épouse Catherine, elle quitta son emploi, pour mieux se consacrer à la préparation de l’événement, à la recherche de partenaires, etc.
Une première dantesque !
Le 30 août 2003, le départ est bien donné, à 4h précises du matin… Trois des quatre principaux fondateurs, R. Bachelard (71 ans), M. Poletti et J.C. Marnier, sont au départ «pour donner l’exemple, tester le produit et par passion». Catherine Poletti, court bien, elle aussi… mais pour s’assurer que tout se passe bien! Car les conditions météorologiques dantesques, pluie, neige par endroit, vent, etc., ne ménagent pas les 663 concurrents. La veille, après avoir pris connaissance des derniers bulletins météorologiques, les organisateurs avaient prévenu : «Demain, pas de ciel bleu aussi pur qu’ennuyeux… Nous serons secoués par la pluie et le vent… Il faudra adopter une attitude de montagnard… Considérez que vous êtes seuls à pouvoir vous sauver… Préparez-vous à vous battre contre les éléments et surtout, surtout, ne vous arrêtez pas !».
La victoire d’un sherpa népalais
Bon nombre de participants, mal équipés pour une telle épreuve (sac mal conçu ou trop lourd, vêtement pas assez technique, mauvaise alimentation…) sont contraints à l’abandon. Seuls 67 concurrents (dont M. Poletti et J.C. Marnier) termineront l’épreuve et deviendront les premiers «finishers» !
L’histoire retint alors que le premier vainqueur fut un ancien sherpa népalais qui auparavant durant de longues années avait sillonné les montagnes himalayennes. Dawa Sherpa boucla les 150 km d’alors, en 20h et 5 min. «Pour la première, on ne pouvait rêver d’un vainqueur plus emblématique…» !
Paradoxalement, ces conditions extrêmes… vont s’avérer être un formidable vecteur de communication! Concurrents comme bénévoles, qui ont rempli une mission quasi humanitaire tout au long du parcours, retiennent unanimement l’extraordinaire aventure humaine et sportive. Les décideurs locaux se félicitent de cette première menée à bien. Les médias régionaux, nationaux et surtout la presse spécialisée s’emparent de l’événement! Pour tous, une réelle épreuve de sport extrême de pleine nature est née !
Quelques-uns remettent cependant en cause la sécurité, d’autres par conflits d’intérêts (territorial et événementiel) contestent l’opportunité de cette course !
L’UTMB devient une référence mondiale
Mais la dynamique est créée… Le 13 décembre 2003, décision est prise, il y aura bien une seconde édition! Les deux années qui suivront seront le temps de la structuration et de l’envol vers les sommets : la mise en place d’un parcours s’inscrivant totalement dans l’esprit trail, l’instauration d’un mode de gouvernance unique (SARL + association), la professionnalisation de l’organisation (mais reposant très majoritairement sur des bénévoles) et le partenariat avec un grand équipementier du sport, «The North Face», s’accompagnent d’une croissance fulgurante du nombre des demandes de dossards!
Dès 2005, toutes les régions de France et 32 nationalités (25% des inscrits) sont représentées au travers des 2054 concurrents! Heureusement, l’accroissement du nombre de bénévoles est à la hauteur de l’engouement sportif. Des centaines d’habitants du territoire proposent leur aide pour assurer aussi bien la sécurité, que les ravitaillements, etc.
Bien sûr, comme souvent, la réussite attire critiques et convoitises. Certains «puristes» reprochant aux organisateurs notamment leur trop « grand assistanat » des concurrents.
Qu’importe, les organisateurs de l’UTMB assument… Le trail ne doit pas seulement être le privilège de quelques-uns… Il faut offrir aussi à un grand nombre d’amateurs de ce sport, symbole du dépassement de soi, dans un site exceptionnel et des conditions balisées, l’opportunité de vivre une épreuve sportive unique! Et la suite de l’histoire leur donne raison!
L’année 2006 marque un nouveau tournant. Devant l’explosion des demandes, l’offre doit s’adapter, autant pour satisfaire les coureurs que pour assurer la pérennité de l’événement.
« L’économie, oui, mais après le sportif »
Il n’y aura donc plus une, mais cinq courses de distance et de difficulté différentes, le tout s’étalant sur une semaine! Le nombre de communes partenaires passe à 14, puis 19, les bénévoles sont désormais plus de 2000 !
Pour accompagner le développement, M. Poletti quitte ses activités professionnelles, la direction de son entreprise de 30 personnes, et rejoint son épouse comme permanent de l’UTMB. Ils sont aujourd’hui 9 à temps plein !
L’engouement est tel que des critères de sélection par points sont peu à peu mis en place: «Il faut 9 points, acquis sur d’autres courses, pour pouvoir concourir à l’UTMB. Si nous n’avions pas fait cela, nous aurions aujourd’hui 100000 participants! Mais il faut être responsable et ne pas dénaturer l’épreuve, surtout ne pas perdre de vue son but initial, au profit d’autres considérations», explique M. Poletti.
Présente dès le départ, la dimension éco-responsable de l’événement est toujours plus affirmée au travers d’une multitude d’actions de prévention et protection de l’environnement et de partenariats caritatifs (274 000 euros de dons en 2015). La volonté de demeurer un levier de développement local pour toutes les communes traversées est toujours bien prégnante ! Plus de 60 000 nuitées payantes, un budget – participants et accompagnateurs – évalué à plus de 7 millions sur la semaine… sont une manne financière, loin d’être négligeable pour l’économie locale !
Une aventure humaine avant tout !
Le 31 août prochain, à 18h, 2300 coureurs de l’extrême s’élanceront pour la seizième édition de l’UTMB : 170 km, 10000 mètres de dénivelé positif, des cols à plus de 2500m d’altitude. Ce sera l’apothéose d’une semaine de courses à pied autour du Mont-Blanc, qui aura permis à des milliers de sportifs de quelques 90 nationalités différentes et à leurs accompagnateurs de se retrouver, grâce une organisation hors pair, pour une épreuve exigeante, mais dans une «ambiance profondément sportive et familiale», comme aime à le souligner celle qui veille toujours sur les moindres détails de l’UTMB, Catherine Poletti.
Depuis les commencements, tous les meilleurs du trail mondial, tels Kilian Jornet, François d’Haene, Xavier Thévenard, Anton Krupicka, Dawa Sherpa…, sans oublier Lizzy Hawker, Nuria Picas, Caroline Chaverot, Rory Bosio, etc., sont venus à Chamonix… Les médias du monde entier couvrent chaque année davantage l’événement.
Mais M. Poletti n’est pas prêt à vendre «sa course» au tout-business: «Certes, il faut être professionnel… Mais il ne faut jamais oublier que le plus important, c’est l’aventure humaine, être profondément enraciné dans le territoire, labourer ensemble avec et pour les gens du pays» !