«J’y crois à ce territoire, on y vit bien: on est à une heure de tout, on a un bon climat, des gens sympathiques et on peut dire ce que l’on pense…L’attractivité de Carhaix est certaine, mais il faut que le tissu économique tienne bon, la période est compliquée, la crise de l’énergie, l’inflation sont là…»

Jean-Paul Gourlay fait partie de ces personnalités locales connues, reconnues qui, sans titre ni prétention mais réellement présentes et actives, font une part du charme et de l’attrait de ce Centre-Bretagne bien vivant…

Convivial et affable, année après année, le micro à la main ou l’appareil photo en bandoulière, il paraît affairé et enthousiaste, toujours un grand sourire aux lèvres, il émaille facilement ses propos de savoureux mots bretons et ponctue régulièrement ses phrases d’un rire joyeux.

Il se dit d’un naturel optimiste et très attaché à sa région natale, ce qui ne l’empêche pas d’être lucide et parfois même inquiet… Ses convictions et son dynamisme l’emportent cependant toujours : il faut réagir, agir, « faire bouger les choses dans le bon sens! » comme il aime à le répéter…

________________

Voudriez-vous vous présenter brièvement?

«J’ai 70 ans, je suis né à Carhaix où j’ai fait toute ma scolarité avant de partir sur Rostrenen pour le lycée. L’objectif était de décrocher le Bac, on ne nous orientait pas. J’ai connu 68 dans cette période…

Mes parents, mes grands-parents habitaient Carhaix, j’ai vécu dans cette «Grande Rue» où ma grand-mère tenait un commerce de faïences bretonnes… Je suis carhaisien!

Pour des raisons professionnelles, j’ai dû m’expatrier un peu… de vingt kilomètres!

Un de mes regrets est d’avoir vendu trop vite la maison de mes parents (que j’ai perdus à 39 ans… Ceux qui ont la chance de garder longtemps leurs parents en vie ne savent pas ce que c’est de les perdre encore jeunes…), pour en racheter une quelques années plus tard en revenant sur Carhaix!

J’ai participé à la première vague de scoutisme à Carhaix avec les scouts de France dont Manu Le Guen et toute cette équipe de base, il y avait un bon groupe à ce moment-là: les louveteaux, les rangers et les pionniers, ça marchait bien…

Ma vie tournait autour de ça et déjà des animations: à l’occasion de veillées, des soirées, je prenais toujours les choses en main!

A 18 ans, j’ai pris des responsabilités et j’ai continué jusqu’à 21, 22 ans à suivre le groupe, j’étais animateur des groupes du district de Morlaix (qui comprenait Carhaix) pour les rangers.

Quand j’ai quitté Carhaix, j’ai été obligé d’arrêter, je me suis marié, les naissances sont arrivées…

Et c’est à partir de cette époque-là aussi que les scouts de France ont commencé à décliner sur place… C’est «Coatilouarn» qui, en quelque sorte, a pris le relais de tout ça dans la région avec sa troupe scoute! (Beaucoup de vieux Carhaisiens continuent ainsi à désigner le Centre Missionnaire par le nom breton du lieu-dit: Coatilouarn, où il a été édifié. NDLR)

Mais j’ai plaisir à retrouver aujourd’hui encore des anciens, dont les beaux-parents d’un de mes enfants que j’avais sous ma responsabilité à une certaine époque…

J’ai deux garçons, une fille et sept petits-enfants dont un atteint d’autisme, que l’on essaye d’aider au maximum…

Mes enfants aussi sont attachés au Centre-Bretagne, un de mes fils, qui est enseignant, a acheté une maison secondaire à Carhaix pour y revenir de manière régulière. Les deux autres habitent la région brestoise.

Après quarante années de vie professionnelle au Crédit Agricole, je continue la correspondance de journal parce que j’aime beaucoup les contacts.

Je ne suis absolument pas bricoleur: si je prends un marteau ou une pointe, il est certain qu’il faudra que le SAMU ne soit pas loin! Même après des années de scoutisme: je n’ai aucune logique!

Comme passe-temps, j’aimais la pêche mais je n’ai plus beaucoup de temps, je fais toujours un peu de vélo et de la marche avec les randonneurs du club carhaisien « Rederien Kreiz Breizh ».»

Depuis plusieurs dizaines d’années, vos diverses activités et en particulier la correspondance locale du journal Ouest-France, vous ont amené à sillonner cette contrée en tous sens… Vous avez ainsi découvert les réalités profondes tant du territoire de Centre-Bretagne que de ses habitants…
Avez-vous remarqué une évolution significative de la vie et de la mentalité de nos compatriotes ?
Les villages, villes et campagnes se sont-ils transformés en ces quelques décennies… Et en quels domaines en particulier ?

«Toute cette zone du Centre-Bretagne a beaucoup changé, elle s’est modernisée: j’ai connu la campagne avec le tas de fumier devant la maison, on ne voit plus de tas de fumier!

Le monde agricole a évolué considérablement, il s’est transformé, les écoles d’agriculture ont beaucoup apporté. Les jeunes ont appris à travailler différemment, à être plus performants, les fermes se sont regroupées, de jeunes ingénieurs sont arrivés, des jeunes «agri-managers», comme on les appelle.

Ce sont de véritables petites entreprises qui se sont mises en place…

Au début des années 60, l’habitat aussi s’est refait, un grand nombre de Centre-Bretons ont fait construire leurs propres maisons. Les gens n’étaient pas frileux pour investir. Les banques prêtaient beaucoup d’argent et embauchaient aussi parce qu’il fallait du monde pour répondre aux besoins… Les commerces dans les bourgs ont également bien évolué…

Beaucoup de changements sur le plan économique: plus de richesses, plus de savoir-faire, plus d’écoles, plus de « matière grise »…

La population augmentait régulièrement, les écoles n’avaient pas de souci d’effectifs…

Aujourd’hui, ce n’est plus tout à fait pareil, on se demande où l’on va, est-ce que nos petites écoles vont réussir à se maintenir, est-ce que le petit commerce tiendra?

On n’aura plus tout sur place comme dans les années 50 où dans certains villages il y avait le tailleur, le coiffeur… Tous les métiers présents, c’est fini… Mais les gens ont une voiture pour se déplacer…

Belle évolution donc, très positive jusqu’à il y a quelques années, je suis plus inquiet maintenant…»

Les Centre-Bretons se sont-ils «francisés», voire «dilués» dans «la société européenne», ou gardent-ils leur spécificité et le sens de leur appartenance?

«Les Bretons, on en trouve partout! Quand on est breton, on reste breton…

Il y a une diaspora bretonne même à New-York!

Mais je pense que le Breton est européen. Dans l’agriculture, j’ai vu beaucoup de gens s’intéresser à l’Europe, savoir ce qu’elle pouvait leur apporter. Cela a amené du modernisme, des fonds sont arrivés ici, le programme Leader par le biais du pays COB a apporté de l’argent dans nos campagnes…

Le Breton reste breton, mais tous les Bretons ne sont pas bretonnants. Il faut faire la différence: ce n’est pas une nécessité d’être bretonnant pour se dire breton… Je suis plus breton que certains qui «bretonnent»!

Un vrai Breton, c’est celui qui est bien ancré dans son territoire et qui y pense tous les jours même s’il est à New-York!»

Vous-même, vous sentez-vous breton… et ce plus ou moins que dans le passé?
« En quoi »… plus particulièrement?

«Je suis breton, complètement breton! J’aime les fêtes folkloriques!

Mais comme je l’ai dit: être breton, c’est l’attachement à son territoire. Je suis très attaché à Carhaix, à ce Centre-Bretagne… plus qu’à des manifestations, vouloir «montrer que», on n’a pas besoin de mettre une pancarte sur soi «je suis breton», c’est dans l’esprit!

Je me sens breton par le fait de vivre à Carhaix et de m’y sentir bien! C’est d’ailleurs pourquoi je ne suis pas parti, j’aurais pu partir comme d’autres sur la côte… mais alors que deviendrait le Centre-Bretagne?

J’y crois à ce territoire, on y vit bien: on est à une heure de tout, on a un bon climat, des gens sympathiques et on peut dire ce que l’on pense…»

La venue de personnes «étrangères» à notre région, «migrants» de l’intérieur de la France… ou de pays étrangers a-t-elle influé considérablement sur le caractère et le comportement de nos concitoyens? Ces personnes se sont-elles assimilées et sont-elles devenues «bretonnes»?

«Je pense que les personnes qui viennent vraiment pour s’installer chez nous ont une attache bretonne… Pour les gens qui viennent d’ailleurs, ce n’est pas évident de s’adapter au pays.

Je n’ai pas peur de l’étranger, nous en avons et en aurons besoin dans certains métiers notamment et quand le Breton s’expatrie à New-York ou au Canada, il est bien content d’être accueilli! Pourquoi n’accueillerait-on pas l’étranger? Si nous avions la guerre chez nous, nous serions peut-être bien contents d’être accueillis en Ukraine par exemple… Des Ukrainiens arrivent ici, mais ils repartiront, parce que ce sont des gens attachés à leur pays, ils ne sont pas là pour s’installer mais nous sommes là pour les accueillir…

Le Breton est accueillant, normalement. Je crois au sens de l’accueil du Breton, mais je pense que c’est difficile pour des gens qui viennent d’ailleurs sans la moindre attache, de s’assimiler pleinement et de s’ancrer durablement… Il faut vraiment aimer et épouser la culture bretonne ou épouser effectivement un Breton ou une Bretonne!

Les autres pour la plupart repartent pour se rapprocher de leurs propres racines, on a tous des racines quelque part…»

Dans le domaine économique, quelles transformations vous paraissent évidentes?

«En agriculture, l’évolution a été extraordinaire ces dernières années, le modernisme a atteint nos pays, les gens ont compris qu’il fallait changer de modèle, s’adapter et faire des efforts…

Avant, une famille comprenant 6 enfants vivait avec 15 vaches, aujourd’hui la famille comptera rarement plus de 3 enfants, mais pour faire la même chose et avoir le même revenu, il lui faudra 150 vaches et beaucoup plus d’hectares…

Pour ce qui concerne le commerce, la période est compliquée… Ce n’est plus le modèle de commerce de nos grands-mères, des commerces ont fermé et n’existent plus. Là aussi il faut évoluer et s’adapter. La concurrence du commerce sur le Net existe, mais il est complémentaire.

Il y a aussi des métiers en souffrance… On dit que quand un métier disparaît, un autre se crée, mais ce n’est pas toujours au même endroit.

L’informatique n’est pas assez développée, il n’y a pas un grand centre informatique sur Carhaix, c’est dommage!

Un des points forts est l’agro-alimentaire, et l’arrivée d’usines comme Synutra apporte du dynamisme et de l’emploi… Les élus, les collectivités territoriales essayent de faire bouger les choses en ce domaine aussi.

Un certain brassage de la population amène du «sang neuf» car la population locale est plutôt vieillissante. Dans des quartiers où des gens travaillaient avant, il n’y a plus que des retraités et des retraités en bonne santé, qui vont donc rester longtemps… Ils sont d’ailleurs rejoints par d’autres retraités qui arrivent d’autres régions, revenant souvent au pays et qui achètent les maisons à vendre que le budget des jeunes couples de la région (ou qui y sont venus travailler) ne leur permet pas d’acquérir…»

L’attraction des villes, importantes ou moindres telle Carhaix… a-t-elle grandi au cours des ans…?
Ou l’avènement d’internet et l’accès de «chez soi» au «monde», ont-ils redonné une nouvelle vie à un certain repli sur soi…?
Cela apparaît-il dans la participation à la vie des associations et autres lieux de rencontre ?

«Là où il y a du monde, les gens viennent… ce qui est vrai pour Carhaix et même Rostrenen qui se développe bien en ce moment.

Carhaix a toujours eu des hauts et des bas… 7500 à 8000 habitants actuellement, après guerre il n’y en avait que 5000 sur Carhaix même… L’évolution n’est pas négative, c’est plutôt l’âge de la population qui pose problème…

Pour ce qui est du repli sur soi, quand la télévision est arrivée, on l’a très nettement constaté et quand internet est arrivé de même: les gens sont toujours devant leurs écrans, portables et autres! Cela joue beaucoup pour le repli sur soi!

Ceci dit, la vie associative est très riche à Carhaix, il y existe beaucoup d’associations et le Centre-Bretagne est très dynamique dans ce domaine. Il y a des associations qui disparaissent, mais d’autres qui se créent…

La crainte se situe plutôt au niveau du bénévolat lui-même, notion qui est en train de disparaître… mais ça reviendra, s’il y a un peu de jeunesse, on ne pourra pas faire sans!

L’attractivité de Carhaix est certaine, mais il faut que le tissu économique tienne bon, la période est compliquée, la crise de l’énergie, l’inflation sont là…

Ce qui manque ici, c’est le réseau ferré. Carhaix a fait sa gloire jusqu’en 1967 du réseau breton. Certes, nous avons des lignes de cars, la ligne Carhaix-Guingamp fonctionne, mais un désenclavement par des lignes de chemin de fer aurait été intéressant (c’est moins cher et plus sécurisant de se déplacer en train… mais maintenant, remonter des lignes…!).

La RN164 2×2 voies apporte, mais elle n’est toujours pas terminée… On gagne cependant déjà du temps à chaque fois!»

Vous avez suivi beaucoup de périodes d’élections et connu la «fièvre» des soirées électorales dans les bureaux de vote de la région, quels sont vos souvenirs les plus marquants?

«Les soirs d’élections il y a 30 ans, c’était deux téléphones chez moi et un copain qui venait m’aider pour prendre des notes, en particulier pour les municipales. C’était assez «chaud», en général il y avait deux listes dans les communes: la droite et la gauche et ils s’affrontaient. Ils se connaissaient pourtant tous mais ils s’affrontaient et parfois il y avait deux membres de la même famille sur deux listes opposées.

J’ai connu l’anecdote de Rostrenen quand Emile Radenac, abbé supérieur de Campostal est élu conseiller général. Je l’entends encore dire: «Non seulement, j’ai battu un communiste mais battu par un curé!».

A Locarn, c’était souvent assez «chaud» aussi, il y avait des Locarnois qui étaient des durs et qui montaient sur la table le soir… Il arrivait qu’il y ait des bagarres dans les villages, j’ai été appelé en tant que correspondant de presse, dans un bourg dont je ne citerai pas le nom, pour couvrir la bagarre qui avait éclaté. Comme il n’y avait là qu’un bistrot, on mettait les gagnants en haut et les perdants en bas parce que l’on savait qu’ils allaient partir plus vite et on essayait de faire en sorte qu’ils ne se croisent pas!

Par contre, depuis deux élections, en particulier au niveau municipal, c’est plat. Il n’y a plus cette ambiance qu’il y avait dans les villes et les villages: on allait faire un casse-croûte, on collait des affiches, on se les faisait décoller, on les remettait…

Tout juste si à certains endroits on trouve assez de personnes pour constituer le conseil municipal, les gens ne veulent plus «s’embêter» avec cela…

Mais il faut dire qu’en assistant aux réunions des conseils municipaux comme je le fais, on se rend compte qu’ils ont perdu de leur influence depuis qu’il y a les communautés de communes et que beaucoup de choses sont préparées d’avance…

Y a-t-il besoin d’autant de conseillers? Ne pourrait-on pas faire avec moins de monde pour essayer de dynamiser un peu?

Ça a beaucoup changé… Peut-être est-ce aussi le changement de la population, avec un peu plus de brassage?

Les gens ne viennent plus au dépouillement, ils ont les résultats rapidement sur internet et ne veulent pas affronter le voisin…

Dans les petites communes alentour, il n’y a le plus souvent qu’une seule liste et dans la plupart des conseils municipaux, il n’y a plus d’opposition.»

Quelle est votre analyse de l’évolution de l’échiquier politique local?

«Il y a des personnalités qui sortent: Christian Troadec à Carhaix, Guillaume Robic sur Rostrenen, un jeune qui est arrivé et qui semble décidé à faire «bouger les choses». Il y a aussi Sandra Le Nouvel qui est présidente de la Communauté de Communes du Kreiz Breizh… Cette «jeunesse» dynamise un peu le secteur…

Les élus essayent de faire le maximum, ils n’y arrivent pas toujours et on les critique mais c’est facile de critiquer et les médias sont prompts à utiliser le négatif: c’est plus facile d’aller au négatif qu’au positif!

L’échiquier politique pourra évoluer quand il n’y aura plus les frontières départementales qui sont un frein et un véritable handicap pour le Centre-Bretagne «à cheval» sur les trois départements. Il faudrait revoir cela assez vite avec peut-être une grande communauté de communes, mais certains devront mettre leur ego de côté, tout le monde veut être calife et tout le monde ne sera pas calife! Chacun veut garder sa commune, son école… mais on n’aura pas les moyens de garder tout ça!

Il est à espérer que des personnalités politiques émergent dans les années qui viennent… Nous avons eu de grands hommes dans la région!

Emile Radenac avec sa vision économique pour le Centre-Bretagne, Jean Rohou sur Carhaix a été un grand personnage (ma mère disait toujours: il a le même diplôme que moi, mais il a réussi mieux que moi!)!

Sur Loudéac, «Marie-Mad», Marie-Madeleine Dienesch, députée à l’Assemblée Nationale, a très longtemps œuvré, sur Dinan ils ont eu René Pleven, qui a été ministre et a apporté…

Dernièrement, Richard Ferrand a également marqué le territoire…

Dommage qu’il y ait des rivalités politiques entre certaines personnes qui en tirant la charrette dans le même sens auraient pu en faire plus! Allons-y tout droit et tirons en même temps!»

Vous qui suivez de près l’actualité scolaire, passant d’école en école à chaque rentrée pour rendre compte des effectifs, nominations et divers projets, quelle est votre analyse de l’évolution du paysage scolaire sur votre secteur et plus globalement du Centre-Bretagne ?

«Certaines communes risquent de perdre leur école, chaque maire veut garder la sienne parce que l’on s’aperçoit que si l’école ferme, la vie sociale et économique en pâtit, le système des regroupements pédagogiques est peut-être encore une solution pour garder quand même quelque chose dans le village… Il est facile de fermer une école, il est très difficile de la ré-ouvrir… Les maires ont raison de défendre ce qui peut être défendu, mais y aura-t-il assez d’enfants pour remplir les écoles en Centre-Bretagne?

Comme on l’a dit, la population en général vieillit, des retraités plus aisés venus chercher le calme de la région achètent les maisons que les jeunes couples qui cherchent à s’installer n’ont pas les moyens de s’offrir…

Les familles sont également moins nombreuses, quand il n’était pas rare de voir des familles de 5 ou 6 enfants, elles en comptent aujourd’hui plutôt 2 ou 3…

Par contre les écoles se sont modernisées, elles sont bien équipées et n’ont rien à envier aux écoles brestoises ou quimpéroises, élèves et enseignants y ont tout ce qu’il faut avec en plus les avantages liés aux structures plus petites!»

La rivalité entre l’école publique et l’école privée catholique qui a parfois divisé la population et les familles de bourgs de la contrée vous paraît-elle perdurer quelque peu par endroits ?

«Non, par ici, c’est fini, la nouvelle génération n’est plus dans le même état d’esprit. La laïcisation des enseignants fait qu’aujourd’hui cette rivalité est beaucoup plus faible.

Les mentalités ont beaucoup évolué, il arrive maintenant que des parents d’élèves de deux écoles fassent des activités ensemble, ce que l’on n’aurait jamais pu voir il y a 30 ans!

Depuis quelque temps, pour le choix de l’école, du collège, les commodités, l’intérêt personnel de l’enfant et de la famille passent souvent avant les convictions…

Mais quand l’effectif est suffisant, ce n’est pas plus mal qu’il y ait deux écoles… On dit toujours qu’il vaut mieux avoir deux restaurants qui marchent bien, qu’un seul qui marche mal!»

Vous avez consacré beaucoup de temps et d’énergie à la troupe «l’Entracte», qui vous doit une partie de son succès, pouvez-vous nous en retracer les grands moments ?

«C’est parti de l’école privée de Maël-Carhaix avec Maître Dayot, notaire.

Souhaitant étoffer un peu la kermesse de l’école, une sœur religieuse a eu idée de faire appel à quelques personnes pour proposer du théâtre. La fête commençait en début d’après-midi par le spectacle des enfants, suivait la pièce de théâtre avant la tombola…

Des amis avec qui j’avais été en classe sont venus me demander si je voulais bien leur donner un coup de main, je n’étais pas parent d’élève, je travaillais à la banque et étais célibataire, je suis allé voir et cela m’a plu. (On m’aurait demandé d’aller à l’école publique, j’aurais fait la même chose…). Le temps a passé, et d’une année sur l’autre, nous montions une nouvelle pièce de théâtre pour la fête de l’école… Au fil des ans on a évolué, nous avons eu des conseils, nous avons commencé à nous déplacer, à regarder un peu plus loin, les pièces parisiennes…

Un jour une première partie de l’équipe est partie, nous avons alors créé «l’Entracte» en 1993. Nous voulions à ce moment ouvrir la troupe à d’autres personnes tout en restant en lien avec l’école, nous l’avons donc fait et j’ai pris la présidence (que j’ai continué à assurer de nombreuses années avant de passer maintenant le relais…). Avec la trésorière et la vice-présidente, nous formions un « tandem de choc »!

Nous continuions à présenter deux ou trois séances au profit de l’école, en contrepartie, nous nous entraînions dans ses locaux.

La troupe est montée en puissance. Daniel Bercot de la «Pierre Le Bigaut» est venu nous proposer de présenter un ou deux spectacles au profit de son association. Le lien s’est créé et cela s’est mis en place. Nous avons également développé un partenariat avec le Lions Club qui par son carnet d’adresses nous a ouvert des portes, ce qui nous a permis de progresser…

Nous avons réussi à monter de plus grandes pièces et à multiplier les représentations jusqu’à remplir de spectateurs la salle du Glenmor…»

Qu’avez-vous le plus apprécié dans cette aventure du théâtre ?

«Le dépassement de soi! Et il faut l’avouer aussi, on a tous un ego: le maire du village est content d’être maire quand il porte son écharpe, moi j’étais content d’être sur scène, d’avoir réussi et… d’être applaudi!

J’avais du stress avant chaque représentation, je sais ce que c’est le trac… qui a cependant diminué avec le temps, j’étais beaucoup moins stressé les dernières années, je gérais mieux ce stress.

J’ai apprécié aussi le contact avec les gens, aller à la rencontre des autres, j’aimais beaucoup cela, on m’avait baptisé le «de Funès du Centre-Bretagne»!

Nous n’avons jamais joué une seule séance au profit de la troupe, c’est la particularité de «l’Entracte». Il y a des troupes très équipées qui achètent leur matériel avec les séances qu’ils produisent, nous jouons toujours au profit d’une cause et sommes tous bénévoles.

Actuellement, l’association est en sommeil mais elle devrait repartir, un peu différemment…»

Tout le monde en Centre-Bretagne entend, à la fin du mois de juin, parler de la «PLB-Muco» comme d’un bel élan de solidarité, une grande manifestation sportive très appréciée, mais sans se rendre vraiment compte de tout ce qu’elle représente. Pourriez-vous nous en rappeler en quelques mots les grands principes et le fonctionnement ?

«Tout est parti du problème de la mucoviscidose, chez une personne: Alexandre, le fils de Daniel Bercot, était atteint de cette maladie et en est par la suite décédé… Son père a voulu faire quelque chose pour aider la recherche parce qu’il s’est rendu compte que les fonds versés par l’état n’étaient pas suffisants. Le but est donc de drainer des fonds et de faire connaître cette maladie, et de ce côté-là, on peut dire que c’est une réussite: il a réussi!

Daniel Bercot est quelqu’un qui sait manager une équipe, qui sait faire bouger les gens, on peut être d’accord ou pas avec lui: on est obligé de le suivre, on a envie de le suivre!

Le grand principe est: on parle de la maladie, on mobilise les gens, on rassemble les fonds que l’on apporte à la recherche.

En janvier commencent les réunions préparatoires, chacun a son rôle… Certaines personnes ne participent qu’à l’organisation, d’autres ne viennent que pour le vélo mais personne ne repart insensible à la cause.

D’ailleurs elle serait parmi les rares associations de Bretagne à ne pas se plaindre que le nombre de ses bénévoles baisse, elle parvient à le maintenir, continuant à mobiliser ainsi plus de 3000 bénévoles chaque année.

Les courses cyclistes classiques ont de plus en plus de mal à trouver des bonnes volontés, les comités des fêtes aussi… le Covid est passé par là!

Les agriculteurs de la région et la chambre d’agriculture jouent un rôle très important aussi –notamment pour les repas offerts– auprès des grands fournisseurs et autres donateurs qui prennent ainsi part à ce grand élan de générosité.

La «Pierre Le Bigaut» a de l’avenir si les gens continuent à s’intéresser au vélo, si le nombre de cyclistes ne diminue pas trop… La crise de l’énergie jouera aussi, il y aura moins de cyclistes à venir de Suisse, du Sud de la France… Ils hésiteront à venir au vu de la dépense que cela induit.

Participer à la «Pierre Le Bigaut», c’est entrer dans cette grande chaîne de la solidarité!»

Vous êtes vous-même engagé dans cette association, quel rôle y jouez-vous ?

«Je suis rentré tout doucement dans cette équipe, d’abord par ma voix qui est venue les aider au micro de la «Rando Muco». J’ai continué par la suite à assurer l’animation à la PLB sur le podium de la course le matin, avec Pierre Thomas et Eric Le Balch qui lui est un spécialiste du cyclisme, rejoignant l’après-midi celui des présentations des groupes de musiciens qui vont animer le reste de la journée à Callac.

J’aide aussi à la coordination des diverses manifestations organisées et j’essaye d’être présent sur le terrain au bout de la chaîne en plantant des pancartes, etc.»

La soirée de bilan qui réunit chaque année en octobre de très nombreuses personnes et personnalités, est un moment très important et très émouvant. Elle commence toujours par un hommage aux disparus de l’association, membres bénévoles âgés ou plus jeunes atteints de mucoviscidose.
Cette année, cette minute d’applaudissements honorait plus particulièrement le parrain encore jeune de l’édition 2022 décédé entre temps de la maladie… Des chercheurs prennent la parole, des invités témoignent, vous y participez activement aussi, comment vivez-vous ces moments et pourriez-vous nous les faire partager ?

«Cette soirée est particulière, elle est solennelle. Chaque année, avant de démarrer, un peu comme au théâtre, je lutte contre une forme de trac! Chose que je ne ressens pas du tout au micro le jour de la course.

Rien n’est laissé au hasard, nous essayons de donner les mots justes sur nos interventions pour dire les choses sans aller trop loin, que chacun prenne sa part sans que ce soit trop long.

Cette année en effet, c’était encore plus particulier à cause du décès inattendu du parrain de cette 30e édition: je l’ai interviewé à Callac en juin sur la ligne de départ… ça fait drôle d’assister à ses obsèques durant l’été… Il était de Poullaouën, ancien du lycée de Carhaix, il avait été greffé, ce qui a prolongé sa vie de plusieurs années mais des complications l’ont finalement rapidement emporté.

Les médecins et chercheurs présents sont les mêmes, Pr Ferrec, Mme Ramel… vraiment impliqués, ils ont le sourire; plein de matière grise dans la tête, ils parlent très simplement.

Ils sont tout entiers à leurs recherches, n’arrêtent pas d’y penser et puis, d’un échec ils rebondissent, ils avancent et le disent tout simplement. Ils viennent aussi à Callac pour remercier. Il faut dire que sans les fonds apportés par la PLB, un service de transplantation à Nantes aurait dû fermer… un nouveau médicament, le Kaftrio, vient aussi de sortir qui va permettre de vraiment soulager certains malades sans pour autant les guérir… C’est pour cela qu’il faut apporter des fonds à la recherche, et pas un centime n’échappe à Callac! Rien que pour l’année 2022, l’engagement des bénévoles bretons a ainsi permis de collecter 723459,21 euros pour vaincre la mucoviscidose.

Ils aiment aussi venir parce qu’ils ont les gens en face d’eux et c’est émouvant… Ce moment rapproche chercheurs, bénévoles et patients.

C’est peut-être le plus grand moment de la PLB… Autant avec l’âge, j’ai laissé le théâtre sans trop de difficulté, autant pour la PLB, je ne me vois pas ne plus le faire… Et pourtant, je ne suis qu’un petit maillon de la chaîne!»

A l’heure de l’information quasiment en «temps réel» sur le « net », une partie de la population semble demeurer attachée à son journal version papier… A votre avis, quel est l’avenir de la presse écrite ?

«Je pense que cela va s’équilibrer, avec l’âge on aime bien avoir le papier, quand on est jeune, on veut aller vite…

Nous arrivons à un point d’équilibre. Le problème se situe au niveau du portage… Des retraités veulent leur journal de très bonne heure dans leur boîte aux lettres, et en Centre-Bretagne, il faut en faire des kilomètres pour distribuer les journaux!

Avec internet, les télévisions qui donnent l’information en direct, la presse écrite doit s’adapter, évoluer. Sur les pages mondiales et nationales proposer plus d’analyse… Le Net, les formules numériques des journaux évitent aussi le gaspillage du papier (bien que Ouest-France par exemple soit imprimé sur du papier recyclé). La version papier permet de revenir sur un article, voire de le découper… Le journal permet aussi d’apaiser… quand un article paraît dans «Ouest-France» ou «Le Télégramme», il a été vu, filtré… Sur internet, les réseaux sociaux, tout le monde écrit, parfois n’importe quoi, sans filtre, il est temps qu’il y ait une législation dans ce domaine.»

Comment entrevoyez-vous l’avenir et la vie du Centre-Bretagne ? Que sera-t-il demain ?

«Le Centre-Bretagne va évoluer…

On va moins vite que dans d’autres régions ou d’autres zones…

On constate un vieillissement et aussi un certain brassage de la population. Il va falloir savoir accueillir des gens pour avoir certains métiers et cela va se faire naturellement car on en aura besoin. Il y a de plus en plus de retraités qui vivent de plus en plus vieux et qui se plaisent ici, il faudra bien qu’il y ait des boulangers, des médecins, des pharmaciens dans notre Centre-Bretagne, il y aura du travail!

Ce Centre-Bretagne vivra!

Je ne serais pas resté, si je n’y croyais pas!»

Entretien recueilli par Gaëlle LE FLOCH