« Un des épisodes les plus émouvants du voyage de M. Félix Faure en Bretagne, c’est évidemment, l’arrêt que le chef de l’État fit à Carhaix, devant la statue de La Tour d’Auvergne, premier grenadier de France. Le président de la République s’est découvert, ému, devant ce monument, élevé par le patriotisme breton, à la mémoire d’un des plus glorieux Armoricains. Les tambours ont battu aux champs, les troupes ont présenté les armes, tous les cœurs ont vibré à l’unisson dans un même sentiment d’ardent amour pour la patrie ».

Ce compte rendu du « Petit Parisien » en date du 16 août 1896, évoquait un événement tout à fait exceptionnel dans l’histoire de la capitale du Poher.  

L’historien Patrick Gourlay dans une étude sur ce voyage présidentiel, a précisé les buts poursuivis par les autorités: «Pour le pouvoir, la péninsule armoricaine restait encore une terre de mission dont il fallait poursuivre l’intégration à l’espace national.

La visite présidentielle chercha ainsi à être un événement fédérateur favorisant l’unité républicaine… elle permettait sans doute à la population de s’approprier cette idée abstraite et lointaine qu’était la république». 

Les maires refusent d’accueillir le président

Le voyage du président devait s’effectuer du 3 au 15 août, avec un départ par mer du Havre à bord du « Dupuy de Lôme », accompagné d’une escadre de 15 navires. Après des escales à Saint-Malo/Dinan puis à Lézardrieux/Paimpol, il débarqua à Brest où il séjourna les 6 et 7 août. Le 8 août, il prit le train à 7h du matin, pour Carhaix via Landerneau et  Morlaix, où le voyage se poursuivit dans un train du réseau breton. Après deux courts arrêts, en gare de  Scrignac-Berrien et Locmaria-Huelgoat, c’est à 10 heures qu’il arriva à Carhaix.

 Les salles d’attente de la gare avaient été transformées en salon de réception. Le président salua les maires du canton, les élus, fonctionnaires, membres du clergé.

Une fausse note fut évitée au dernier moment: les maires du canton avaient fait part de leur refus d’être présents, car ils n’avaient pas été invités au banquet qui devait suivre, offert par le président à une soixantaine de convives.

Les invitations furent donc adressées avec empressement, et les maires furent finalement présents, à l’exception de celui de Cléden-Poher qui jugea la démarche trop tardive, mais qui signala tout de même qu’il «ira saluer le président à son passage sur la route».

 Le président écouta la Marseillaise, exécutée par la fanfare de Morlaix, qui tout comme une trentaine de journalistes, faisait partie du convoi, il monta ensuite en voiture pour se rendre place de La Tour d’Auvergne.

«A la conquête du Rhin ou des Pyrénées»

Sur le parcours en remontant la rue de la « Fontaine blanche » (rue des Martyrs), les pompiers, et des jeunes venus de Scaër en grande tenue bretonne furent particulièrement remarqués.

Le président était escorté par des cavaliers du 2e chasseur de Pontivy. Ils suivront le cortège, avec leur colonel, jusqu’à Châteaulin. Les maisons étaient pavoisées et décorées de fleurs.

Arrivé au pied de la statue de La Tour d’Auvergne, le président descendit de la voiture, et se découvrit. Les honneurs furent rendus,  puis la musique fit entendre le Chant du départ, et la Marseillaise, «cet hymne qui a guidé les armées de la première république à la conquête du Rhin ou des Pyrénées, avec La Tour d’Auvergne au premier rang», déclara alors Félix Faure.

Le journaliste du Finistère écrit: «Tous les cœurs se dilatent; l’émotion est indicible. Du haut de son piédestal, le héros reçoit cet hommage et son geste semble y répondre». 

Un trajet de 5 heures en voiture hippomobile

Il était alors temps de se rendre au marché couvert (les halles au rez-de-chaussée de l’hôtel de ville) pour le banquet prévu de 10h30 à 11h30. Les murs avaient été tendus de toiles rouges, et des portes d’armoires avec miroirs avaient été réquisitionnées pour la décoration.

Le journaliste du Figaro qui couvrait l’événement, ne pouvait qu’être admiratif:

«Les Bretons sont décidément ingénieux. Savez-vous avec quoi ils ont décoré le marché? Avec des portes d’armoires à glaces appliquées sur de l’andrinople!»

Le menu était composé de langoustes, d’omelette au lard, d’andouille à la purée, accompagnée de cidre. «Premier menu vraiment local que nous ayons rencontré sur notre route», note le correspondant du Finistère.

La musique de Carhaix accompagna le repas, et Léon le sonneur eut un franc succès. Le président réclama une deuxième fois l’antique « Ann Hanigouz » qu’il qualifia « d’hymne  national breton ».

Le trajet Carhaix-Châteaulin s’est ensuite effectué, durant 5 heures, en voiture hippomobile. Le président profita de ce voyage pour annoncer que cette ligne de chemin de fer venait d’être déclarée d’utilité publique. Mais elle ne sera achevée qu’en 1906!
Le convoi était constitué de 5 landaus, 5 calèches, 2 omnibus.

Les arrêts prévus, à Châteauneuf et Pleyben, permettaient de changer les chevaux. Avant l’arrivée à Châteauneuf, une pluie torrentielle s’était abattue sur les voyageurs: «et tant pis pour les malheureux voyageurs de l’impériale. M. Félix Faure, stoïquement, laisse découvert son landau », afin de pouvoir saluer les Bretons sur le chemin. A Carhaix, la fête se poursuivit, et la journée se termina par un grand banquet populaire.

F.K.