C’est après avoir regardé un jour une camarade à la cantine scolaire assise devant son plateau sans pratiquement y toucher que Solène Revol commence à se regarder d’une autre manière. Sa camarade est très mince et elle la trouve belle. Et la conclusion s’impose tout de suite à son esprit: «Elle est belle parce qu’elle ne mange pas beaucoup!»

Et cette conclusion est logiquement suivie d’une autre: comparée à son amie, elle se trouve soudain trop grosse et elle se dit qu’elle pourrait être plus belle, elle aussi, si elle mangeait moins.

La pensée fait son chemin dans la tête de cette adolescente de 15 ans, fille d’un médecin et d’une standardiste médicale à Feurs, dans la Loire.
A la fin de l’année scolaire 2014, après avoir fait une course à pied de huit kilomètres avec son père, elle monte sur la balance: 52 kilos! Pour cette sportive, en bonne condition physique, c’est le poids idéal!

Une vision d’elle-même déformée

Mais dans sa tête, un autre message surgit: «Quand même, un ou deux kilos en moins, ça ne serait pas si mal!»
«Je n’étais pourtant pas en surpoids…, raconte-t-elle, juste dans la norme, mais forcément on voit partout l’image type de la femme mince. Comme si être belle signifiait être mince. J’étais donc déterminée à perdre du poids et la perfectionniste que je suis m’a fait basculer dans un contrôle extrême de mon alimentation.»
A partir de ce moment, sa vision d’elle-même est déformée, et désormais elle obéit, comme elle l’exprime si bien dans son livre-témoignage, à «une petite voix dans sa tête» qui lui dicte comment elle doit manger.
Et ainsi commence de façon insidieuse une descente qui va mener Solène à un esclavage qui a failli détruire sa vie.
Son objectif au départ est juste de perdre un peu de poids: elle se fixe 50 kilos pour la fin de l’été.
Finalement, elle en perd quatre, et elle est contente… Elle a dépassé son objectif!
Mais un objectif en appelle un autre. Elle se met de plus en plus à surveiller ce qu’elle mange…
Et lorsque sa mère s’inquiète, elle cherche toujours des excuses.
«A chaque repas, explique-t-elle encore, j’avais dans la tête: « non, c’est trop gras », « ça fait grossir », « ne pas craquer », « ne pas manger »… Très vite, sans s’en rendre compte, on devient prisonnier de ses idées, elles s’ancrent en nous, au point de revenir à tout moment de la journée.»

Un pas de plus vers un esclavage total

Puis, elle commence à consulter des sites internet qui calculent les calories des différents aliments, et c’est un pas de plus vers un esclavage total.
A la fin de l’année 2014, elle monte à nouveau sur la balance: 44 kilos! Et au fil des semaines, elle continue de baisser. Elle est fatiguée, elle a des cernes sous les yeux, ses vêtements sont tous trop grands… Elle a froid, elle commence à perdre ses cheveux, elle pleure souvent quand elle est toute seule dans sa chambre le soir, mais elle est incapable d’arrêter. Obnubilée par son poids qu’elle trouve toujours excessif, elle prend même l’habitude de se forcer à vomir dans les toilettes après les repas en famille.
Puis, enfin, en janvier 2015, en se réveillant une nuit en sursaut, elle ouvre son ordinateur et recherche le mot « anorexie », ce mot qu’elle a toujours voulu éviter: «maladie des troubles du comportement alimentaire »… La définition la frappe, pendant un court moment elle est troublée, mais elle n’est pas encore prête à admettre que cela la concerne. La « petite voix » est toujours là pour lui dire qu’elle est encore trop grosse et qu’il faut continuer à maigrir.
Fin janvier, elle peut faire le bilan après six mois d’effort: elle a perdu 13 kilos! Quelques jours plus tard, elle apprend qu’une amie à elle se trouve à l’hôpital. Et la raison de l’hospitalisation de son amie l’interpelle: «elle ne mange pas assez, elle est anorexique»!
Cette fois, Solène est secouée. Elle retourne sur internet pour approfondir ses connaissances: «L’anorexie, lit-elle, est une vraie maladie qui touche surtout les jeunes filles perfectionnistes. La nourriture devient une obsession. C’est une maladie qui provoque une déformation de la vision du corps…»
Aux vacances de février, c’est sa mère qui finalement la convainc de consulter un médecin. Celui-ci l’envoie immédiatement voir un spécialiste.

La délivrance au bout d’un long combat !

C’est le début du chemin de retour, mais ce chemin sera long et parfois très difficile.
Enfin, Solène accepte de se faire soigner, elle est hospitalisée dans un centre de psychiatrie de Saint-Étienne, où elle doit se soumettre à un traitement de choc. Elle est coupée de tout: pas d’internet, pas de téléphone, pas de courrier, même pas le droit de rencontrer les autres malades du service…
C’est très strict, cela demande un immense effort. Le traitement est prévu pour 15 jours, mais finalement Solène ne sortira de cet hôpital qu’au bout de neuf mois.
Au début, elle continue de maigrir, elle descend jusqu’à 33 kilos. La petite voix qui susurre dans son oreille qu’il ne faut pas manger est toujours là, dans sa tête. Le déclic vient un jour où on lui présente un morceau de pain avec du Nutella, une pâte à tartiner qu’elle aimait beaucoup avant mais qu’elle se refuse depuis longtemps. Elle fait un effort pour l’avaler, elle le trouve bon… C’est un petit pas vers la guérison.
Lorsqu’elle sort de l’hôpital le 30 décembre 2015, elle est remplie de reconnaissance envers tous ceux qui l’ont aidée à trouver le chemin de la guérison, mais elle est aussi consciente du chemin qui reste à parcourir. Chaque mercredi, elle doit retourner à l’hôpital pour faire le point.
«Le combat, dit-elle, passe par de nombreux doutes, de nombreuses rechutes, mais il faut s’accrocher, ne pas abandonner, toujours croire que c’est possible.»
A force de se battre et avec l’aide de son entourage, Solène s’en est sortie. En mai 2018, elle peut déclarer: «J’ai bientôt 20 ans, et désormais je suis une jeune femme heureuse et libérée. Après quelques années de combat, je peux me dire guérie. Cette voix ne revient plus me hanter, et même quand elle pointe le bout de son nez, je sais la chasser immédiatement. J’ai beaucoup trop souffert… et pour rien au monde, je ne veux que ça recommence…»
«Aujourd’hui je partage mon récit pour apporter des réponses aux questions de tous les parents ou proches de malades…»
Et pour donner du courage à tous ceux qui souffrent de cette maladie, elle s’exclame:
«Ne perdez pas espoir, battez-vous, c’est possible!»