Vétérinaire en Angleterre

Une passion née aux U.S.A.

Visites à la ferme

Psychologiquement, le contact avec les animaux est très important

La souffrance cachée d’une belle profession

«L’arrivée du loup est inquiétante…»

Entretien avec Madame Nina Collot d’Escury de la ferme « Les Alpagas des Monts d’Arrée » à Pont-de-Buis-Les-Quimerc’h…

«Quand j’étais étudiante vétérinaire aux Pays-Bas, j’ai fait un échange avec une université aux États-Unis dans le Michigan et il y avait là-bas à la clinique deux alpagas. Or, il était très rare d’en voir hors d’Amérique du Sud parce qu’à cette époque-là l’exportation de ces animaux était interdite. Tout le monde était donc invité à venir voir ces alpagas et pour moi ça a été le « coup de foudre »!», nous a confié Mme Collot d’Escury.

La ferme est nichée sur le flanc d’une colline au cœur du parc naturel régional d’Armorique. L’harmonie entre le monde de la nature et celui des hommes semble y être préservée, le panorama y est magnifique: du haut de l’allée centrale, le Menez-Hom, la vallée de l’Aulne, les Monts d’Arrée et les Montagnes Noires s’offrent à la vue. Quand alors apparaissent, dans ce cadre, les silhouettes élégantes puis le regard sympathique et curieux des alpagas, vous ressentez une agréable impression de dépaysement …

Ajoutez-y le timbre chaleureux de la voix de la maîtresse des lieux qui vous guide et vous explique avec mesure et sérénité la passion de sa vie (le tout dans un français réfléchi, agrémenté d’un accent étranger si charmant) et vous conviendrez que ce petit coin de Bretagne, à la fois authentique et exotique, vaut vraiment le détour!

Voudriez-vous vous présenter brièvement?

«D’origine je suis française, je suis née en France mais mes parents s’étant séparés quand j’avais six mois, j’ai suivi ma mère qui est retournée vivre aux Pays-Bas. C’est donc là que j’ai grandi et fait mes études, j’ai pris la nationalité néerlandaise à 18 ans parce que je ne parlais pas le français.

J’ai ensuite travaillé en Angleterre durant toute ma vie professionnelle comme vétérinaire.

J’avais fait mes études aux Pays-Bas, mais comme j’ai toujours beaucoup aimé l’Angleterre, j’ai essayé d’y trouver un emploi et y ai exercé jusqu’en 1997, année où j’ai vendu mon cabinet et suis venue m’installer en France pour être auprès de ma mère qui se trouvait seule.

Au début, c’est en Normandie que nous avons trouvé une maison, puis cinq ans après nous sommes venues nous installer ici en Bretagne.

Ma langue maternelle est donc le néerlandais mais je considère l’anglais comme ma langue principale, c’est en anglais que je m’adresse à mes animaux! En français je me « débrouille » mais ça reste un peu difficile!

Mes loisirs… ce que j’aime ce sont mes animaux! J’ai toujours eu beaucoup d’intérêt pour la nature, dans le passé j’ai beaucoup lu mais je n’en ai plus le temps, je préfère me promener avec mes chiens… J’aime beaucoup le lieu où j’habite, quand je marche avec mes animaux sur la hauteur de la colline je me sens bien, je suis heureuse!»

En remontant un peu dans le temps, votre famille et certains de vos aïeux en Bretagne ont eu une histoire très particulière, voulez-vous la retracer à grands traits?

«C’est la famille du côté de mon père que j’ai peu connue…

La lignée est issue d’une famille très ancienne de Picardie qui possédait le château d’Escury et son domaine près de Soissons (coïncidence amusante: le lieu-dit que j’habite ici au cœur de la Bretagne s’appelle… « La Picardie »!).

Au XVIIe siècle, un de mes ancêtres, André Collot d’Escury est venu en Bretagne car il y avait été nommé gouverneur et capitaine de Quintin. Mais étant huguenot, après la révocation de l’édit de Nantes, comme beaucoup de protestants, il a dû fuir et chercher refuge aux Pays-Bas…

La famille y est restée pendant plusieurs générations… jusqu’à ce que mes grands-parents paternels reviennent dans l’Aisne quand mon père était tout petit. Il a donc vécu son enfance en France avant de retourner aux Pays-Bas faire ses études et c’est là qu’il a rencontré ma mère, néerlandaise de toujours…»

Comment est née cette « aventure » avec les alpagas ?

«Quand j’étais étudiante vétérinaire aux Pays-Bas, avant la dernière année d’étude, j’ai pris une année, comme il était obligatoire de le faire, pour découvrir autre chose. J’ai fait un échange avec une université aux États-Unis dans le Michigan et il y avait là-bas à la clinique deux alpagas. Or, il était très rare d’en voir hors d’Amérique du Sud parce qu’à cette époque-là l’exportation de ces animaux était interdite (et ce jusque dans les années 80…).

Tout le monde était donc invité à venir voir ces alpagas et pour moi ça a été le « coup de foudre »!

Je n’ai pas pu en avoir de sitôt parce que mon cabinet de vétérinaire se trouvait en ville, mais j’ai fait des recherches, j’ai suivi des stages et c’est toujours resté « dans ma tête »… Quand j’ai vendu mon cabinet pour venir en France, c’était le temps : j’en ai acheté deux et demi, deux femelles et un petit ! Actuellement j’en ai 43, j’en ai eu davantage mais je ne fais plus de reproduction parce que je veux en diminuer le nombre petit à petit, le troupeau vieillit et moi aussi… Je ne veux plus en vendre non plus, j’y suis trop attachée !»

Pouvez-vous nous présenter l’alpaga, son caractère, ses spécificités et votre quotidien auprès de votre troupeau ?    

«Le quotidien pour moi : dans la matinée je sors le troupeau des étables, je nettoie les boxes et apporte les soins si nécessaire, comme couper les ongles, faire des piqûres de vitamines, etc.

Les alpagas n’aiment pas être touchés, ils restent un peu craintifs, un peu méfiants surtout si les choses ne sont pas comme d’habitude donc pour les piqûres par exemple, c’est plus facile quand je peux avoir quelqu’un pour m’aider !

Le soir je les rentre à nouveau; dans le temps, l’été, je les laissais dehors mais plus maintenant.

L’alpaga est doux en laine, mais aussi de caractère…  il est calme et d’une grande sociabilité. Curieux, il aime bien être avec nous. Il ne craint pas l’humain et s’approche facilement; par contre dès qu’on essaye de le toucher, il ne fuit pas mais recule. Même entre eux, ils ne sont pas tactiles comme les chiens ou les chats.

Pourtant il ne supporte pas du tout la solitude, c’est en groupe qu’il aime vivre.

Ils ne mordent jamais mais quand ils sont un peu en colère, ils peuvent cracher entre eux, surtout les mâles quand ils se battent, comme les lamas, pas plus, pas moins non plus…

C’est rare qu’ils crachent sur nous, il faut vraiment qu’on les embête beaucoup pendant la tonte ou quand on leur fait des piqûres !

J’ai été surprise de leur adaptation au climat breton et aux autres animaux du domaine (Ils partagent actuellement la pâture et les étables avec deux poneys, un lama et un âne).

Je possède deux races différentes : le Suri avec de longues mèches bouclées et le Huacaya plus laineux.

Leur toison est uniforme mais il se décline en de nombreuses teintes: 22 couleurs naturelles allant du blanc pur au noir en passant par toutes les nuances de gris et de brun et même de roux !

En Amérique du Sud, ils sont aussi principalement élevés pour leur laine mais avec l’âge (les alpagas vivent une vingtaine d’années) elle devient plus rêche, ils perdent alors de la valeur et sont amenés à l’abattoir pour leur viande. Ailleurs elle ne se consomme pas.»

L’alpaga est donc prisé pour sa laine, pouvez-vous nous expliquer pourquoi et comment vous la mettez en valeur ?

«La laine qu’ils produisent est soyeuse, de très haute qualité: douce et légère, elle est sans suint ni odeur et sept fois plus chaude que la laine de mouton.

Elle est filée pour le tricot ou si elle est moins fine, elle est feutrée pour réaliser du tissu qui sert à faire des vêtements, des accessoires de mode et des objets de décoration. Personnellement, j’aime la tricoter à la machine.

 La tonte se produit en avril et en mai. Chaque année, un animal peut donner jusqu’à 2,5 kg de laine.

En Normandie, avec l’aide d’une amie qui avait un élevage de chèvres angora, je tondais moi-même mes animaux, mais c’est long et très physique. Ici je fais appel à un tondeur professionnel spécialisé, ce qui n’est pas facile à trouver !

Je file ensuite dans mon atelier une partie de la production pour le plaisir et aussi pour les stages, j’expédie l’autre partie dans une  filature. Pendant un temps, je l’envoyais en Belgique dans une mini filature, très bien mais très chère, en Italie aussi, puis en Angleterre dans une filature plus grande qui me donnait entière satisfaction… mais c’était avant le Brexit !

La filature me renvoie la laine en cônes, que je mets en pelotes (pour les teintes que je garde naturelles) ou en écheveaux pour celles que je veux teindre auparavant.

Je le fais avec des colorants alimentaires, des acides ou des éléments naturels comme le chardon, le bois de sureau … Ce qui permet d’obtenir du vert, du bleu, du rouge, etc.»

Ne regrettez-vous pas ce choix de vie ? Que vous apporte-t-il?

«Dans un premier temps c’est la passion pour l’animal qui m’y a conduite, cela fait très longtemps que je vis cette passion pour les animaux…

J’aime les animaux et être avec eux  me procure beaucoup de plaisir !

En Normandie, je faisais surtout de l’élevage mais ici en Bretagne comme la région est plus touristique, j’ai créé une entreprise pour pouvoir proposer des visites à la ferme et recevoir des stagiaires.»

Vous avez donc voulu partager cette passion, en ouvrant votre ferme à qui le souhaite. Quelles sont vos différentes propositions d’accueil ?

«J’ai mis en place différentes formules de visite à la ferme.

En été, je propose une visite interactive comprenant une longue balade sur le chemin de randonnée du Vieux Bourg avec les alpagas en licol, ce qui permet de mieux les connaître et les apprivoiser…

Une seconde proposition y ajoute la présentation des étapes de la transformation de la toison avec démonstration de cardage et de feutrage selon différentes techniques, ainsi que l’initiation au filage de la laine au fuseau ou au rouet.

J’ai aussi créé des endroits où l’on peut pique-niquer parmi les alpagas, sur les hauteurs; la vue est très belle, c’est très sympathique!

J’ai d’autres idées que je pense concrétiser l’été prochain…

J’ai aussi fait beaucoup d’animations avec une amie sur les marchés, dans les fêtes, nous filions comme aux vieux métiers, nous amenions les alpagas… jusque dans les maisons de retraite où ils avaient beaucoup de succès…

Hélas, cette amie, avec qui j’avais beaucoup de plaisir à organiser tout cela, est décédée. Me retrouvant seule, je ne peux plus proposer ce genre d’animations…

Je privilégie depuis  l’accueil sur place et continue  à organiser des stages de filage traditionnel, de façon artisanale.

J’ai aussi accueilli beaucoup de personnes venues des quatre coins du monde en « work away », un mode de travail solidaire où les volontaires rendent service au fermier en échange du couvert et du gîte.

Ce site internet où l’on s’inscrit comme hôte ou comme bénévole (pour 4 à 5 heures de travail par jour sur 5 jours), permet à l’un d’avoir un peu d’aide et à l’autre de découvrir une activité et de voyager à moindre frais.

J’accueille également un type de stagiaires plus classiques, souvent des personnes qui envisagent un changement d’orientation ou qui ont déjà un projet de reconversion professionnelle, c’est le cas de la jeune femme que je vais maintenant recevoir pour deux semaines.

La semaine dernière, j’avais en stage un jeune homme de Quimper qui se prépare pour soigner les animaux dans des parcs zoologiques, mais c’est vraiment très difficile d’y trouver un emploi, j’espère qu’il va réussir !»

Les lamas et alpagas, (que le grand public confond fréquemment) sont très à la mode depuis quelques temps, leurs images apparaissent un peu  partout en motifs ou éléments de décoration… Quelle est la différence entre ces deux animaux? D’où cet engouement vous semble-t-il venir?

«Je l’ai constaté aussi mais je ne sais pas exactement d’où est venue cette mode !

Je me demande quand même si la présence d’alpagas au mariage princier tellement médiatisé de Harry et Meghan n’a pas joué dans cet engouement…

Que des célébrités aiment ainsi les alpagas et en fassent venir à leur mariage comme ça, y est peut-être pour quelque chose… On m’a également demandé de le faire pour des mariages !

C’est vrai aussi que les alpagas sont des animaux vraiment élégants et sympathiques et il y a en plus le côté exotique…

La différence entre le lama et l’alpaga tient avant tout à la taille : le lama est plus grand, sa laine est différente aussi et même son phénotype : la forme de sa tête par exemple n’est pas la même.

Ceci dit, l’aspect général assez proche de ces deux animaux explique la fréquente confusion.

Mais en Finistère c’est mieux ! Au début quand j’ai commencé à venir au salon agricole de Quimper ou dans les fêtes, tout le monde parlait de lamas, maintenant les gens connaissent les alpagas !»

Au-delà des excès et exagérations souvent dénoncés (beaucoup « d’anthropomorphisme », jusqu’à des poussettes pour la promenade du chien, alors qu’un ami venu d’Afrique pour la première fois en France s’étonnait déjà et s’amusait beaucoup de voir des chiens ainsi tenus « au bout d’une ficelle » !), n’est-on pas en train de redécouvrir les bienfaits et l’intérêt de la relation à l’animal dans notre société de plus en plus robotisée, déshumanisée et pas seulement pour les enfants, les personnes âgées, aveugles ou souffrant d’autres handicaps ?

«C’est vrai que c’est très important pour les humains d’être en contact avec les animaux, des études montrent tout le bien que cela apporte à l’humain dans bien des domaines.

Mais je ne peux pas dire si on en est plus conscient maintenant…. Quand j’exerçais en Angleterre, une amie allait faire des visites à l’hôpital avec mes chiens, auprès de personnes handicapées, atteintes de troubles mentaux…

Cela fait vraiment du bien !»

Vous êtes également vétérinaire, pourquoi aviez-vous choisi cette formation ? Quels aspects de la profession vous ont le plus attirée ?

«Je m’y suis mise un peu tard, j’ai dans un premier temps travaillé comme secrétaire, ce qui n’a rien à voir avec les animaux…

Mais j’ai toujours beaucoup aimé les animaux bien sûr et une émission sur les vétérinaires à la télévision m’a beaucoup plu et m’a donné l’idée d’essayer de me lancer.

C’est le contact avec les animaux qui m’attirait le plus et aussi le fait de pouvoir travailler dehors auprès d’eux.

En fait, après mes études, j’ai surtout pratiqué auprès d’animaux de compagnie et je n’ai pas travaillé en extérieur auprès d’animaux de la ferme comme j’en rêvais au début (et comme je le fais maintenant!)»

Quelles sont les joies ou satisfactions particulières que vous ont données ces années de pratique en Angleterre?

«Ce que j’ai beaucoup aimé, c’est le contact avec les animaux bien sûr, le fait de pouvoir les aider… mais aussi le contact avec les propriétaires, les clients et j’avais également un groupe d’assistantes autour de moi qui étaient des amies, ce travail d’équipe me plaisait beaucoup…»

Le vétérinaire doit  parfois jouer le rôle d’un psychologue…

Être confronté à la souffrance de l’animal à qui l’on ne peut rien expliquer et au désarroi de son maître ou propriétaire, étreint parfois par un étrange sentiment de culpabilité face au recours à l’euthanasie, est un aspect difficile de la profession, comment l’avez-vous vécu?

«Ça a été dur, ce sont des moments difficiles et j’en ai connu dès le début dans mon premier emploi. J’y ai rapidement été confrontée quand des gens pour la première fois m’ont demandé d’euthanasier un animal jeune en bonne santé. J’ai refusé, mais mon patron m’a dit qu’il fallait le faire parce que lui-même l’ayant refusé une fois, on avait peu de temps après retrouvé ce chien sur la plage, mort.

Cela m’a fait beaucoup de mal… Mais par la suite, quand j’ai eu mon cabinet à moi, j’ai refusé plusieurs fois, en essayant de trouver des solutions…

En même temps, dans bien des cas, c’est la dernière chose que l’on puisse faire pour soulager l’animal de la souffrance.

J’ai eu de nombreux animaux moi-même et j’en ai perdu beaucoup, mais à la fin, il vaut parfois mieux  le « piquer » que le laisser souffrir.

De ma propre expérience et aussi dans ma clinique, j’ai pu constater que souvent les animaux sont prêts à l’accepter, on le voit dans leur comportement, leur regard. Ce qui est plus dur, ce sont les cas où l’animal n’accepte pas, qu’il se débat pour éviter cela, là c’est vraiment très difficile !

J’en ai fait beaucoup, j’ai été obligée de le faire mais on ne s’habitue jamais…»

Difficile aussi, comme en témoignait dernièrement un de vos confrères, contraint d’euthanasier tout un troupeau de vaches –qu’il soignait jusqu’à présent– sous les yeux de l’éleveur effondré qui n’arrivait pas à maîtriser ses larmes…

Les épisodes de la « vache folle », grippe porcine ou aviaire qui se succèdent, multiplient les scènes semblables…

En tant qu’ancienne praticienne et actuelle éleveuse, vous y êtes doublement sensibilisée, quelles réflexions vous inspire cette dure réalité? 

«J’étais en Angleterre quand a eu lieu la grosse épidémie de fièvre aphteuse. Je pratiquais plutôt auprès des animaux de compagnie et cela ne m’a donc pas directement concernée mais j’ai bien mesuré ce que cela pouvait représenter et j’en suis restée marquée… Je sais qu’un jour quelque chose de semblable peut survenir, si c’était le cas pour moi ce serait la fin !

Je ne pourrais pas recommencer… C’est un aspect très difficile, le risque est toujours là, quand arrive quelque chose d’infectieux et que le troupeau doit être abattu. En tant qu’éleveur, c’est impensable et en tant que vétérinaire, c’est dramatique aussi.

C’est une très dure réalité… On n’y pense pas tout le temps, mais c’est très difficile !»

La profession de vétérinaire continue à jouir d’une image très positive auprès des « amis des bêtes »et aussi des enfants (comme en témoignent les nombreux accessoires et mallettes de vétérinaires présents dans les catalogues de jouets de Noël), et pourtant une récente étude menée pour le compte de l’association Vétos-Entraide et du CNOV (Conseil national de l’ordre des vétérinaires), révèle un profond mal-être avec un taux de suicide particulièrement élevé dans ce milieu et des abandons de plus en plus nombreux (pour la seule année 2021, 341 vétérinaires de moins de 40 ans ont quitté l’ordre des vétérinaires…)

En êtes-vous étonnée ?

Auriez-vous des conseils ou des  paroles d’encouragement à adresser à des jeunes engagés dans cette belle profession ou désireux de le faire ?

«Cela ne m’étonne pas, déjà quand j’étais étudiante, on savait que c’était une profession avec un très fort taux de suicide.

Je pense que c’est un peu comme pour les infirmières et toutes ces professions: quand on soigne, on donne quelque chose de soi-même et c’est difficile, on ne peut pas toujours en parler, je comprends pourquoi, c’est une souffrance difficile à partager…

Je ne connais pas la situation exacte en France, mais je sais que l’on a du mal à trouver des vétérinaires à la campagne pour les animaux de la ferme. En Angleterre, ils ont créé des associations pour venir en aide aux vétérinaires en souffrance psychologique.

Il est important d’avoir des collègues et des amis avec qui pouvoir en parler, partager…

C’est une très belle profession, la récompense de faire quelque chose pour les animaux et leurs propriétaires est formidable mais il y a aussi les moments difficiles, quand la vie est beaucoup plus dure, quand tout est plus compliqué comme pendant la Covid, la fièvre aphteuse… ça dépend des moments.»

Quels conseils donneriez-vous aux lecteurs qui possèdent des animaux pour que ces derniers soient en bonne santé ?

«Il faut bien connaître ses animaux, quand on les connaît bien, on voit que quelque chose ne va pas très bien et dans ce cas, il faut appeler le vétérinaire.

Il faut leur donner de l’exercice, leur faire faire des promenades et bien observer leur comportement pendant ces temps, remarquer s’ils sont moins énergiques que d’habitude, par exemple…

Il faut aussi bien les nourrir avec des aliments adaptés.»                                                       

Quels signes de problèmes de santé peuvent passer inaperçus, comment réagit l’animal à la souffrance ?

«Tout d’abord, un peu comme nous aussi, s’il mange bien, c’est bon signe !

Mais même dans ce cas, il faut vérifier qu’il ne perde pas de poids parce que les animaux peuvent continuer à bien manger tout en ayant une maladie qui leur fait perdre du poids, il faut bien surveiller…

Il faut aussi être vigilant quant au suivi des vaccinations et c’est l’occasion pour le vétérinaire de faire un contrôle de santé qui doit être effectué au moins une fois par an. Je conseille en plus d’aller trois ou quatre fois par an simplement dans la salle d’attente peser son animal pour vérifier son poids même s’il mange bien.

Je parle par expérience: avec les alpagas, comme avec les chiens bien poilus, on ne voit pas s’ils perdent du poids, d’où l’intérêt de les peser régulièrement. Pour les alpagas, tous les deux mois, je fais ce qui s’appelle en anglais un « body score » pour chacun d’eux: on sent les muscles du dos à un endroit précis de la colonne vertébrale pour évaluer leur état de santé, pour déceler une éventuelle perte de poids, on peut aussi le pratiquer sur un chien.

(On peut d’ailleurs remarquer à l’inverse que certains sont un peu « gros », il y a toujours les plus gourmands qui mangent en premier, ce qui est difficile à réguler dans un troupeau…

Il y a aussi les plus âgés qui sont souvent plus maigres, ils ont perdu du poids mais là c’est normal…)»

Que diriez-vous à quelqu’un qui souhaite offrir ou recevoir un animal pour Noël ?

«Un animal n’est pas prévu pour Noël, c’est pour la vie!

A mon avis, il ne faut pas offrir un animal en cadeau, non… Si on veut un animal, il faut faire des recherches, savoir ce que l’on veut faire, savoir ce que l’on peut faire, combien cela va coûter, etc. Mais seulement prendre un petit chiot pour les enfants… non! Je le déconseille fortement.»

Que pensez-vous de l’objection parfois faite face aux sommes d’argent assez considérables dépensées pour l’achat, la nourriture et le soin des animaux de compagnie alors que tant d’êtres humains souffrent de la faim et manquent du nécessaire?

«Si on peut donner une bonne vie à l’animal, j’en suis tout à fait d’accord… Si on a les moyens de bien le nourrir et le soigner, on a aussi les moyens de donner des sommes aux associations caritatives pour les personnes.»

Les soins apportés aux animaux bénéficient aussi  des progrès de la recherche et de la médecine avec le coût que cela engendre, et se pose alors la délicate question –véritable cas de conscience et dilemme pour nombre de maîtres et amis des bêtes–  jusqu’où aller?

«Si c’est un animal que l’on aime beaucoup, c’est un membre de la famille donc on fait pour lui la même chose que l’on fait pour un être humain. Pour moi, mes chiens sont des membres de ma famille… Si je pense que les soins peuvent procurer une amélioration de sa condition et si j’en ai les moyens, je dépense l’argent. Si je pense que la possibilité est très faible, je ne le fais pas. Tout dépend du bénéfice que l’on pense que l’intervention  pourra apporter à l’animal… Si on aime ses animaux, on les considère comme membres de la famille, ni plus ni moins!»

Après les Pays-Bas, l’Angleterre et la Normandie, maintenant les terres bretonnes… Quelles ont été vos premières impressions ? Avec quelques années de recul percevez-vous toujours de la même manière la région et ses habitants ?

«J’aime la Bretagne! J’ai bien aimé la Normandie aussi, mais je trouve la Bretagne… je ne peux pas dire vraiment plus « accueillante » que la Normandie, mais c’est différent quand même: pour nous les étrangers, en Normandie quand tout le monde est ensemble, j’ai l’impression qu’on reste quand même un peu étranger… Ici, c’est différent, les gens sont plus « accueillants »…  je n’arrive pas à l’exprimer, c’est difficile à expliquer…

J’aime beaucoup la nature ici aussi, peut-être le fait que c’est plus sauvage…

En Normandie, le troupeau ayant grandi, j’avais besoin de plus de place, j’ai cherché sur internet dans la région là-bas, en Bretagne aussi et je suis « tombée » sur cette maison ici!

Je m’y plais beaucoup !»

Le loup est revenu dans les Monts d’Arrée a informé la Presse ces dernières semaines, qu’en pensez-vous ?

«Je sais, ce ne sont pas seulement ces dernières semaines, on en a parlé avec un éleveur de chèvres angora depuis plusieurs mois déjà. Eux ont pris un chiot Patou pour garder le troupeau… pour moi qui ai déjà cinq chiens, c’est  plus difficile à envisager !

Des stages sur ce sujet ont été organisés, j’aurais aimé y participer, mais il n’est pas possible pour moi de m’absenter ainsi deux jours consécutifs…»

Les brebis et autres animaux pourraient être en danger fait-on remarquer… Avez-vous des craintes pour vos alpagas ?

Quelles mesures prendriez-vous éventuellement?

«Jusqu’à présent ici, seuls les chiens pouvaient représenter un danger pour les alpagas (j’en ai perdu deux suite à une attaque de chien), le loup fait dorénavant aussi partie de ces prédateurs à craindre…

Je rentre déjà mes animaux tous les soirs, même aux beaux jours maintenant. Je vais améliorer les barrières autour des hangars pour que le loup ne puisse pas y pénétrer.

J’espère aussi que la présence de mes chiens, bien qu’ils dorment dans la maison, pourra jouer (le plus grand, Dogue du Tibet, pèse 63 kg…).

Le loup qui vient surtout la nuit, sera peut-être quand même plus méfiant, les étables où les alpagas sont enfermés sont proches de la maison.»

Le retour de toute cette faune sauvage, peut-être demain l’ours, vous semble-t-il  souhaitable ?

«Personnellement, et pour tous les autres éleveurs de chèvres, brebis etc., et même pour les gens avec des petits chiens, c’est inquiétant, c’est sûr… mais en même temps, je trouve que c’est bien qu’il y ait une place pour tous les animaux… Alors, est-ce souhaitable? Je pense finalement que oui… mais en prenant toutes les précautions…»

Noël aux Pays-Bas, Noël en Angleterre, est-ce bien différent de Noël en France ?

«Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de différences… Noël en Angleterre, c’est parfois « un peu trop »: c’est très commercial, un peu moins en France… et  au Pays-Bas, c’est un peu pareil. On a Saint Nicolas mais ce n’est pas à Noël , c’est le 5 décembre.

Dans ma jeunesse, le Père Noël n’existait pas aux Pays-Bas, c’est Saint Nicolas qui apportait les cadeaux aux enfants, c’était vraiment une grande fête, plus que Noël marqué surtout par le repas en famille, entre familles.

Depuis, je crois que ça a changé, à l’heure de l’internet, les traditions s’uniformisent, Saint Nicolas reste très important mais Noël se fête davantage…»

Vu le choix de vie et les conditions de travail que vous nous avez exposés, quelle réalité recouvre le mot « vacances » pour vous?

«Les vacances ? Je ne peux pas en prendre puisque je ne peux pas même m’absenter ne serait-ce qu’une journée entière, mais cela ne me pèse pas! Je n’en éprouve ni le besoin, ni l’envie!

Quand il fait beau ici, je n’ai nullement envie d’aller ailleurs !

Ça me plaît très bien ici, quand je suis sur mon tracteur dans les champs, je n’ai pas besoin d’autre chose, cela ne me dérange pas du tout de ne pas prendre de vacances !

Certes, avec l’âge, le décès de l’amie qui m’aidait tant, celui de ma mère qui partageait ma passion et dont la présence m’était si précieuse et avec tout le travail à faire le plus souvent seule, la fatigue est parfois là et je songe à la retraite… mais j’y aménagerai  seulement un peu mes activités car il est hors de question que je me sépare de mes animaux!

»

Entretien recueilli par gaelle LE FLOCH