En Bretagne, les courses cyclistes sont très appréciées. De même, beaucoup s’adonnent à la course à pied. Mais avez-vous participé un jour à une course de trains ? Ce n’est plus possible aujourd’hui, mais autrefois, à l’époque des locomotives à vapeur, il arrivait aux Carhaisiens de participer avec grand plaisir à une course entre locomotives. Le théâtre de cette rivalité qu’appréciaient tant les habitants de la capitale du Poher, était le tronçon Carhaix-Port-de-Carhaix.

Les voyageurs réclamaient la course

En effet deux lignes de chemin de fer partaient de Carhaix et se côtoyaient pendant 5 km, avant de se séparer à Port-de-Carhaix, l’une en direction de Rosporden, l’autre de Châteaulin.

Les Carhaisiens prenaient volontiers le train pour aller pêcher à Port-de-Carhaix, et au retour, deux trains prenaient le départ en même temps. C’était devenu une habitude, les voyageurs réclamaient une course, et dès la sortie de la gare, la rivalité commençait. Les voyageurs agitaient leurs chapeaux, les enfants se penchaient aux fenêtres pour toucher les mains des passagers de l’autre train, les locomotives se dépassaient sans cesse. Mais les chauffeurs ne poussaient pas les machines à leur maximum.

A l’approche de Carhaix, ils étaient bien attentifs aux indications des panneaux qui signalaient si les trains pouvaient entrer en gare, et ceux-ci y arrivaient à quelques minutes d’écart.  «Les gens étaient heureux… c’était la fête…».

Les trains «bain de mer»

Lors des grandes foires de Carhaix, mi-mars et début novembre, toute une foule de voyageurs arrivait par la gare de Carhaix le matin pour repartir le soir.

En effet, en dehors des vacations régulières,  minutées, beaucoup de trains spéciaux permettaient aux gens de se rendre aux marchés et foires de la région, mais à d’autres occasions également. En été, les trains « bain de mer » emmenaient les Carhaisiens à Saint-Nic-Pentrez ou Crozon-Morgat dans la journée : départ 5 heures, retour 23 heures, une rude journée ! Les «trains patates» étaient consacrés à l’exportation des précieux tubercules cultivés dans le Poher.

A l’occasion de la course cycliste du «Circuit de l’Aulne», un grand train était affrété pour rejoindre Châteaulin. Lors des courses hippiques de Penallan en Plounévézel, le train Carhaix-Plounévézel était littéralement pris d’assaut, au point que certains ne trouvant pas de place dans les wagons, montaient et s’asseyaient sur les toits.

Il fallait pousser le train

Il faut dire que parfois le train allait à une allure… «de sénateur» comme l’a écrit un chroniqueur. Au point que l’on raconte qu’un cheminot, Yves Cottin (une rue de Carhaix porte son nom), de sa locomotive, flairait la présence des lièvres et des lapins. C’était un chasseur hors pair. Ainsi, on l’aurait vu descendre du train en marche dans la côte de Kergalet. Muni d’un bâton, il surprenait l’animal puis remontait dans la locomotive, le gibier dans sa musette. On raconte également qu’il lui est arrivé de «manquer son train» et de devoir regagner la gare à pied!

Mais les côtes les plus rudes se trouvaient sur l’itinéraire du Chemin de fer Armoricain qui exploita la ligne Plouescat-Rosporden par Commana et La Feuillée (de 1912 à 1934).

Les côtes des Monts d’Arrée étaient telles qu’il fallait parfois que les voyageurs descendent du train, voire le poussent pour qu’il continue à avancer! On a même vu des wagons se détacher et faire marche arrière, prenant l’allure d’un «train fou».

C’était un hiver, à la sortie de Callac, le train de marchandises patinait à cause du verglas sur les rails. Les secousses furent telles que les wagons se décrochèrent et, prenant de la vitesse, ils revinrent en direction de Carhaix à une allure toujours plus grande, menaçant un train de voyageurs qui devait alors quitter la capitale du Poher. Heureusement les communications téléphoniques permirent d’éviter le pire ! 

La «Rue du Maroc»

L’installation de la gare à Carhaix a totalement transformé la physionomie de la ville. Carhaix se terminait alors au début de la route de Callac. Après, c’étaient les champs. La gare a donc été construite en campagne, dans la commune de Plouguer.

De nouveaux quartiers se sont créés. Près de la ferme de Kerven, on trouvait le «Village Nègre». Les mécaniciens et les chauffeurs, les «Seigneurs du Rail», à force de manipuler le charbon, n’arrivaient pas à enlever le noir qui leur collait à la peau.

Près de la ferme de Kérampest (rue Pierre Sémard), ce fut le quartier des «maisons rouges» des cadres du Réseau Breton, car des tuiles avaient été posées pour les toitures, ce qui tranchait avec l’ardoise habituellement utilisée.

De l’autre côté de la gare fut construit le quartier du Maroc, exclusivement habité par des cheminots, dont certains, dit-on, venaient d’être libérés après avoir été incorporés dans les tirailleurs marocains. Pour faire preuve d’exotisme, on trouvait aussi d’autres noms qui rappelaient la France d’outre-mer de l’époque : «la Corée», «le Tonkin». Seule la rue du Maroc a subsisté, témoignage persistant d’une époque révolue.

F.K.