« Les jeunes hommes de Plouyé disaient: «Allons prendre nous-mêmes des informations sur ce qui nous regarde». Arrivés à Quimper ils demandèrent à parler à leurs maîtres.

«Ouvrez à des habitants de la campagne, qui voudraient parler à leurs maîtres.»

«Allez-vous-en, vils paysans, à moins que vous ne teniez à sentir l’odeur de la poudre!» 

«Nous nous moquons de votre poudre, tout comme de celui à qui vous appartenez.» Ils parlaient encore que trente d’entre eux tombèrent morts. Trente tombèrent, mais trois mille entrèrent. Et voilà la ville en feu, un feu si joyeux! Si bien que les bourgeois criaient «Aïe Aïe Aïe Aïe! Grâce, Grâce! Hommes de Plouyé».

  Ce texte issu d’une gwerz (chant populaire) Les Gars de Plouyé («Potred Plouiaou»), comme une autre, Le Faucon, qui évoque les mêmes événements, ont été recueillis par Hersart de la Villemarqué. Il les publia pour la première fois en 1845 dans son célèbre Barzaz-Breiz.

Des universitaires, Donatien Laurent et Michel Nassiet, puis Mikaël Jones, Philippe Hamon…, ont récemment essayé de préciser l’origine de ces gwerzioù, et les événements qu’elles semblent évoquer. Comme il se doit, leurs avis ne concordent pas forcément en tout, mais ces textes semblent tout de même rappeler des événements lointains qui ont marqué l’histoire du Poher en leur temps.

Un duché qui attise bien des convoitises

 Ces chants évoqueraient en effet des troubles qui ont marqué l’année 1490. 

La duchesse Anne, alors âgée de 13 ans, essayait de prendre en main la destinée du duché, qui attisait la convoitise d’un grand nombre: chacun avait son projet: les rois de France et d’Angleterre, son parrain, le Maréchal de Rieux, son oncle, le vicomte de Rohan…  

Mais le «nerf de la guerre», c’est l’argent, donc les impôts. Et ce fut là la cause première de la révolte semble-t-il. Des impôts inhabituels qui sèment la confusion, l’incompréhension, la révolte. Surtout s’ils sont accompagnés d’une décision d’expropriation.

Le propriétaire des terres  donnait «congé» aux exploitants. «Allons prendre nous-mêmes des informations ». 

Le Chanoine Moreau, mort en 1617, écrit dans son récit sur l’histoire de Bretagne que ce mouvement «prit sa source au terroir de Carahès, ou Carhaix, et du côté d’Huelgoat, sous la conduite de trois frères, paysans, qu’on dit originaires de la paroisse de Plouyé». 

Des documents contemporains confirment qu’à cette époque il y eut bien une révolte paysanne qui mit Quimper à mal: les comptes de Quimper, les registres de chancellerie du duché, et le récit en français du représentant du roi d’Angleterre (Roger Machado, le «héraut Richemont»).

Des fermiers privés de leur terre

Outre une hausse spectaculaire du fouage, l’impôt qui touchait chaque foyer, la gwerz, Les Gars de Plouyé évoque aussi l’annonce par un sergent de la décision du vicomte de Rohan de «congédier» ses fermiers. Ils étaient sous le régime du domaine congéable, et n’étaient pas propriétaires de la terre.

Si les terres autour de Plouyé dépendaient du domaine ducal, les trois quarts des terres de la paroisse appartenaient au vicomte de Rohan, tout comme une grande partie du Porzay, du côté de Douarnenez.

C’est ce qui explique que la révolte toucha aussi les paysans de la région de Saint-Nic, Plomodiern ou Plonevez-Porzay, qui se retrouvèrent, fin juin, à l’assaut de «Stang-Rohan», seigneurie située à six kilomètres à l’ouest de Quimper, avant de rejoindre sur Quimper les « gars de Plouyé » et leur  meneur, Yann ar Coz (Jean L’ancien), l’un des trois frères. 

Un territoire propice aux révoltes populaires ?

Si c’est le dimanche de Pentecôte 30 mai que la révolte éclata à Plouyé, la prise de Quimper et son pillage eurent lieu le 30 juillet d’après le chanoine Moreau.

La noblesse et les troupes espagnoles envoyées par la duchesse Anne firent fuir les révoltés le 2 août. Mais rejoints le lendemain, la plupart furent massacrés par les soldats espagnols à Prat en raz (Pratanros) en Penhars.

Des rescapés se dirigèrent vers le Porzay, mais un autre groupe fut anéanti par des soldats anglais dans les prairies de Pluguffan le 4 août. Les derniers révoltés ravagèrent tout sur leur passage avant d’être battus près de Châteauneuf-du-Faou le 7 septembre. 

Pour les historiens, deux questions essentielles se posent au sujet de la gwerz Les Gars de Plouyé. La tradition orale peut-elle permettre de sauvegarder la mémoire de faits vieux de 350 ans?  La seconde rencontre l’actualité: un territoire donné peut-il être particulièrement prédisposé à voir se reproduire cycliquement certains événements, comme des révoltes populaires? Le Poher en a connu de nombreuses dans son histoire.  

 Toujours est-il que, craignant que Charles VIII, roi de France, ne profite de la guerre civile qui divisait la Bretagne pour l’envahir complètement, la duchesse Anne épousa par procuration le 14 novembre 1490 le futur empereur Maximilien d’Autriche. Mais pour lui, la Bretagne n’était qu’un moyen pour peser dans ses négociations avec le roi de France, qu’Anne se vit contrainte d’épouser un an plus tard, le 6 décembre 1491.

F.K.